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Les bronzés à la morgue !


Les bronzés à la morgue !

Les bronzés ne sont pas assez entrés dans l’histoire. C’est un fait. Est-ce une raison pour s’en débarrasser, en les accusant, comme des chiens qu’on veut noyer, d’avoir la rage ? C’est pourtant ce que vient de faire l’Académie française de Médecine en le proclamant haut et fort : les bronzés foutent le cancer !

Certes, je ne suis pas sûre à 100 % (selon le dernier sondage Ipsos réalisé par téléphone auprès d’un panel assez représentatif de moi-même) que l’Académie de Médecine ait bien déclaré que les bronzés causent la leucémie. Elle a juste dit que l’usage effréné des cabines UV représentait un risque sanitaire grave et qu’au lieu d’enquiquiner le Bidochon moyen avec la nocivité des téléphones portables (dont on ne rappellera jamais assez l’innocuité sauf à le coller en position vibreur à un endroit qu’Elisabeth Lévy refuse obstinément que je nomme, mais dont les trois lettres dans le désordre forment un assez beau prénom à mon collègue Rosenzweig – excusez-moi de cette digression assez longue, mais j’étais allée me chercher une bière dans le frigo et Willy n’avait toujours pas mis la table, d’où mon absence prolongée), les pouvoirs publics feraient mieux de s’inquiéter des mélanomes de gens si malins qu’une fois par semaine ils se prennent pour des poulets grillés en se faisant cramer la peau sous des lampions violacés.

Mélanome malin et cancer basocellulaire : voilà donc ce que l’Académie de Médecine nous dit que l’on attrape dans les cabines de bronzage. Ce n’est pas pour médire, mais je n’y crois pas une seule seconde. Je doute d’ailleurs que les honorables membres de cette compagnie aient suffisamment fréquenté les solariums pour savoir ce que l’on y chope. De quoi parlent-ils alors ? Gale, poux, mycoses, verrues, morpions : évidemment l’on voit parfois plus d’animaux en une heure au bronzarium qu’en une journée au zoo, mais je n’y ai jamais croisé un seul crabe. Des cancéreux, non plus.

Je parle en connaissance de cause. Il m’est arrivé – pour ne pas mourir idiote – d’être atteinte par cette maladie assez démocratique. Eh bien, le jour où mon cancérologue, qui avait toujours rêvé de faire coiffeur – je soupçonne ce type d’être un brin porté sur les hommes – s’est enfin décidé à me réaliser une magnifique coupe chimio, la première chose que je fis, après avoir enfilé une perruque du plus bel effet pour draguer le juif orthodoxe, c’est de me payer une séance d’UV. Mourir oui, peut-être, mais avec le teint resplendissant.

En attendant, que vont devenir ceux qui avaient placé leurs économies dans l’ouverture d’un solarium plutôt que de les bernardmadoffiser ? Vu la fréquentation de ce genre d’établissements, il sera sage, pour eux, de changer les ampoules de leurs appareils pour diffuser sur le grand corps malade de leurs clients des rayons X en lieu et place des UV. Un peintre en bâtiment adroit pourra, à moindre frais, transformer leur enseigne : de solarium à sanatorium, ça ne coûte pas beaucoup de lettres. Et Jacques Séguéla ne se rendra compte de rien. Pour la première fois de sa vie, il fera même ce que tout le monde attend depuis si longtemps : se faire soigner.

Mais arrêtons un instant, je vous prie, de parler de choses morbides, pour redevenir sérieux. Tous les magazines féminins vous le diront : c’est impossible de plaire à un homme sans avoir un minimum le teint hâlé. Il est 5 h 30 du matin, dans une demi-heure la boîte ferme, et vous écumez le lieu à la recherche d’un mâle en état d’ébriété suffisamment notoire pour qu’il ne vous crache pas à la figure un élégant : « Eh, casse-toi, morue ! », quand les néons se rallument. Vous n’avez, Madame, aucune chance de jouer à la bête à deux dos dans l’heure qui suit, à moins de tomber sur un type suffisamment déjanté pour vouloir participer à un remake de Nosferatu le livide, si vous n’avez pas passé l’après-midi dans un solarium. Les fâcheux m’objecteront que c’est une question de mode et qu’au XIXe siècle les hommes préféraient les blanches. Et les grosses aussi. Je veux bien. Mais il faut avoir l’esprit sacrément tordu pour s’intéresser aux mecs du XIXe. Siècle et arrondissement.

Je vous le dis comme je le pense : à cinquante ans, si t’as pas un mélanome malin, c’est que t’as raté ta vie.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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