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Un Offenbach queer?

"Les brigands", opéra-bouffe en trois actes de Jacques Offenbach, à l'Opéra Garnier


Un Offenbach queer?
Les Brigands 2024-2025 © Agathe Poupeney - OnP

Mis en scène de façon outrancière par Barrie Kosky, Les brigands deviennent vite assommants. Puis, il faut supporter les calembours inédits d’Antonio Cuenca Ruiz. Enfin, entre en scène la navrante Sandrine Sarroche… Des huées ont été entendues, lâchées des balcons le soir où nous étions présents.


Ca vrille, ça sautille, ça virevolte, ça pétille dans un paroxysme de frénésie burlesque, de malice et de facétie. Tourbillon de danses carnavalesques, de travestissements teintés de lubricité qu’accuse le flamboiement des costumes : la foule des brigands déchaînés envahit le plateau du Palais Garnier, dont le somptueux rideau de carton lourdement ornementé qu’on connait, se lève sur les ors fatigués d’un palais à l’abandon, aux parois ouvragées, grisâtres, maculées de graffitis morbides ou obscènes.

Montée – démontée, pour mieux dire ! – par le metteur en scène australien Barrie Kosky, fanatique d’Offenbach (cf. La Belle Hélène, à Berlin cette année), cette nouvelle production marque le retour à l’Opéra de Paris du célèbre opéra-bouffe qui, au sommet de la carrière d’Offenbach, triompha en 1869 au Théâtre des Variétés, pour entrer bientôt dans la pure tradition de l’Opéra-Comique.

Travestissement roi

Il est parfaitement légitime et même souhaitable, en 2024, de sortir Offenbach de la naphtaline boulevardière, vaguement égrillarde, où le bourgeois en frac du Second Empire trouvait à se divertir. Le duo des librettistes, Henri Meilhac et Ludovic Halévy, ne seraient-ils pas, quelques années plus tard, ceux de Carmen (1875) ? Dramaturges, romanciers, vaudevillistes et princes de l’opérette, ces deux-là étaient les vedettes du temps. Leurs répliques en vers s’enchaînent ici avec la même aisance – « Jadis vous n’aviez qu’une patrie/ Maintenant vous en aurez deux/ La nouvelle c’est l’Italie/ L’Espagn’, cest cell’ de vos aïeux (…) Y’a des gens qui se disent Espagnols/ Et qui n’sont pas du tout Espagnols » –  que les numéros de la partition – musique facile, paroles allusives qui font alors rire aux éclats, Napoléon III ayant pris pour épouse, comme chacun sait, l’ibérique Eugénie de Montijo…

Bref, redonner de l’engrais à la sève comique des Brigands ne fait pas de mal, revitaminer la veine discrètement subversive qui change ces bandits de grand chemin en métaphore des possédants et autres gens de pouvoir n’a rien d’abusif. Il faut bien reconnaître que Barrie Kosky y parvient, mais à quel prix : brillamment campé, malgré son accent, par le ténor néerlandais Marcel Beekman, le chef des brigands, Falsacappa, méconnaissable sous son obscène cuirasse de chair enveloppée d’une longue robe rouge vif, endosse l’aspect d’une hystérique drag-queen emperruquée, monstrueusement fardée, exacte copie de « Divine », l’héroïne camp du mémorable film-culte américain ultra trash de John Waters, Pink Flamingos (1972).

Le travestissement fait d’ailleurs loi d’un bout à l’autre d’un spectacle où les protagonistes vont de déguisement en déguisement (en ermites, en mendiants, en Espagnols, en marmitons…) : de là à exposer un chanteur en lycra noir sado-maso ; des prêtres derviches en chasuble, des bonnes sœurs en danseuses de french-cancan ; des marmitons en loufiats de brasserie ; des carabiniers en uniformes de gendarmes des années 1970, coiffés de képis ; une princesse de Grenade au costume calqué sur ceux des toiles de  Vélasquez ? De même, l’outrance volontaire des danseurs, petits allumeurs torse et jambes nus, et qui s’embouteillent avec le chœur nombreux, dans une perpétuelle, explosive et démente saturnale… L’affichage rutilant du mauvais goût, ce carambolage des époques (dont le livret, au reste, assume la fluidité) a la vertu d’investir ce répertoire très convenu d’un peu d’acide. Corrosif ? Pas tant que ça.  

L’intervention malvenue de Sandrine Sarroche

De fait, on ne suivra pas Kosky jusqu’au bout de sa logique : au lieu de se contenter de respecter le livret, le régisseur l’entrelarde, non seulement de nouveaux dialogues auxquels la plume d’Antonio Cuenca Ruiz imprime une tonalité résolument canaille, mais pour dissiper les obscurités (avérées) de cette intrigue à tiroirs aux mille rebondissements improbables, il intercale aux numéros, pour le spectateur qui serait éventuellement noyé, des digests sensés en désembrouiller la pelote. Didactisme agaçant. Mais ce n’est pas le pire. Le summum de la trivialité est atteint avec les calembours et autres gags dont notre « correcteur » se croit autorisé de farcir l’œuvre : ce n’est plus de l’opéra-bouffe, c’est de la bouffissure ! Jeux de mots sur la « ligne 7 du métro qui mène à la station Opéra », par exemple… Mais surtout, au dernier acte, la chroniqueuse et humoriste Sandrine Sarroche, surgissant sur scène dans sa mise BCBG, s’arroge un petit couplet parodique en alexandrins suivi d’un show de son cru qui, dans le rôle d’Antonio, le Caissier, changé en « ministre du Budget » (sic), lui inspire cette fable : « il était une fois un ancien banquier devenu président » – je ne nomme personne suivez mon regard. Ou, mieux encore, lui fait évoquer –  ha !ha ! ha ! – le… « palais Barnier ». Empalé par le sketch, le patrimoine lyrique a rendu l’âme.

Les Brigands 2024-2025 © Agathe Poupeney – OnP

Il est heureux que les chanteurs, eux, ne la lui ravissent tout à fait. Sous la baguette du transalpin Stefano Montanari qui fait à cette occasion son entrée à l’Opéra de Paris, l’orchestre maison charge d’énergie les mélodies entêtantes et espiègles du barde national, malgré de nombreux décalages avec le chœur – mais quelle importance quand le spectacle tire à ce point vers le cabaret. Belle performance pourtant de Marie Perbost, en Fiorella, la fille de Falsacappa, tandis qu’Antoinette Dennefeld excelle dans le rôle de son amant Fragoletto, tout autant que Laurent Naouri dans celui du chef des carabiniers. Mentionnons Adriana Bignani Lesca, en Princesse de Grenade, Philippe Talbot, en Comte de Gloria-Cassis… Beaucoup des rôles secondaires étant confiés à des membres de la Troupe lyrique ou de l’Académie de l’Opéra. Ce n’est pas contre eux qu’au tomber de rideau montent, au milieu des salves d’applaudissement, les huées lâchées des balcons, mais bien contre cette régie donnée pour transgressive et qui, en somme, se contente un peu trop grassement de faire la blague, comme on dit.

Dans un des textes du programme intitulé sans rire : « Pluralité du travestissement offenbachien (sic) ; le protéiforme comme matrice », la musicienne et chercheuse Capucine Amalvy rappelle que « si nous sommes tenté.e.s  (sic) par une lecture  contemporaine,  (…) en oscillant entre les binarités, l’œuvre tord les représentations essentialistes ». Non, vraiment, vous croyez ?              

Les brigands. Opéra-Bouffe en trois actes de Jacques Offenbach. Direction : Stefano Montanari. Mise en Scène : Barrie Kosky. Opéra et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Marcel Beekman, Marie Perbost, Yann Beuron, Laurent Naouri, Matthias Vidal, Philippe Talbot, Eugénie Joneau, Leonardo Cortallazzi, Eric Huchet…
Palais Garnier. Paris.  Durée : 2h50.
Les 24, 26, 27 septembre, 2, 3, 5, 8, 12 octobre à 19h30. (Spectacle repris du 26 juin au 12 juillet 2025).




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