« Le mal, dit-on, fit son apparition en Éthiopie, au-dessus de l’Égypte : de là il descendit en Égypte et en Libye. » Au IVe siècle avant J.-C., dans l’Histoire de la guerre du Péloponnèse, Thucydide observe l’extension de la peste, partie des rivages africains pour atteindre ceux de la Grèce. Aujourd’hui, un nouveau spectre hante l’Occident : il a pour nom « Ebola ». On le sent rôder à nos frontières. Cette fièvre hémorragique, jusque-là cantonnée à l’Afrique où elle se livrait à de brefs carnages avant de disparaître, a pris une dimension nouvelle non seulement par le nombre de victimes qu’elle a provoqué en Afrique de l’Ouest mais aussi par les cas qui apparaissent désormais de manière sporadique au cœur de nos villes. Cette peur de l’épidémie est à la fois très archaïque et très moderne. La vision des médecins en combinaison intégrale renvoie à un certain nombre de films catastrophe eux-mêmes inspirés de romans d’anticipation comme Je suis une légende, de Richard Matheson, où des mutants traquent les derniers hommes indemnes. Le point commun entre Je suis une légende et Ebola, point qui est presque un invariant dans la grande peur des épidémies, c’est le sang, principal vecteur du virus, mais aussi de la peur. On apprenait ainsi, récemment, qu’Air Canada avait refusé de transporter un échantillon prélevé sur un malade ![access capability= »lire_inedits »]
L’une des premières descriptions des ravages sanitaires et psychologiques d’une épidémie – la peste à Athènes – se trouve donc dans l’Histoire de la guerre du Péloponnèse. On y retrouve cette présence du sang : « L’intérieur, le pharynx et la langue devenaient sanguinolents », de la fièvre, et de la mort presque certaine des malades. Thucydide précise que cette peste est venue d’Afrique, sans que l’on puisse cependant expliquer son apparition à Athènes, pas plus que l’on n’explique aujourd’hui l’arrivée d’Ebola chez nous. D’où psychose et rumeur : « Le mal se déclara subitement à Athènes et (…) on colporta le bruit que les Péloponnésiens avaient empoisonné les puits. » Mais ce qui nous semble encore plus proche, c’est le courage des soignants victimes de leur dévouement : « Ceux qui approchaient les malades périssaient également (…) : mus par le sentiment de l’honneur, ils négligeaient toute précaution, allaient soigner leurs amis ; car, à la fin, les gens de la maison eux-mêmes se lassaient, vaincus par l’excès du mal, d’entendre les gémissements des moribonds. » On laissera donc la parole à Camus qui, dans La Peste, trouve une raison d’espérer au cœur de la catastrophe, qui forge de nouvelles solidarités : « Il y a chez les hommes plus de choses à admirer qu’à mépriser. » Les soignants tombés sur le front d’Ebola prouvent peut-être qu’il avait raison.[/access]
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