Le Temps des Cerises a eu la bonne idée de réunir dans un seul volume (Le Hussard Rouge) quelques chroniques de Patrick Besson datant des années 1980 à 2000. Enfin, « bonne idée », pas pour tout le monde. Certains se seraient bien gardés de voir remonter à la surface des textes assassins qui mettent en lumière leur nullité ou leur bassesse d’alors. Besson exhumait avec délice et malice toutes les petites minables compromissions des gens bien en vue. Dans ces années de Mitterrandisme effréné, de fin des idéologies et de financiarisation de l’économie, ils ont été nombreux à patauger dans les eaux boueuses du politiquement correct et du simplement ridicule.
Sous forme de billets d’humeur, de lettres, de pastiches ou de poèmes, Besson a canardé, sans relâche, les faux-semblants de ces vingt dernières années. Les profiteurs du système, les jurys littéraires cacochymes, les éditeurs véreux, les écrivains gigolpinces, tout le monde en a pris pour son grade. Et ne boudons pas notre plaisir, c’est sacrément plaisant de lire ou relire ces textes qui n’ont rien perdu de leur causticité ! On se rend compte que Besson a été le plus grand écrivain de la fin du XXème siècle en France. On partage avec lui ses coups de gueule et sa lucidité désespérée sur la fin d’un monde tout en s’amusant de son sens de la formule. Besson a ce côté révolté et joyeux des gamins de l’ex-banlieue rouge, il égratigne et il blesse d’un coup de plume…juste pour rire.
Toutes les gloires de ces années-là ont eu droit à leur dézingage en règle. Net et précis. Une volée de bois vert qui laisse l’impétrant, comme dirait l’autre, sur le carreau. Ca mitraillait sec en ce temps-là ! Dans ces exécutions littéraires qui nous manquent cruellement aujourd’hui, Besson a bien évidemment ses têtes de turc. Son courroux monte crescendo selon son humeur. A la sortie de La vie éternelle de Jacques Attali, Besson ricane en lançant que « rien n’est plus beau qu’un beau roman, mais il y a rien de pire qu’un mauvais romancier ». C’est frais, léger, gentillet, ça se corse parfois comme cet agacement sur les livres de Françoise Giroud qui« s’autodétruisent dans les douze mois suivant leur parution ». Mais, là encore, nous sommes dans une tradition bien française du lynchage entre confères et personne ne viendra s’en plaindre. Jacques Attali ou Françoise Giroud n’ont pas laissé des œuvres mémorables au panthéon de la littérature pour éviter une giclée de gros plomb d’imprimerie.
Besson ne recule cependant devant rien et n’hésite pas à déboulonner les consciences politiques qui faisaient la Une des magazines. Ce « ball-trap » est jouissif, tout le monde y passe : Guy Bedos, Philippe Sollers, Patrick Modiano, Yves Simon ou l’inénarrable Alain Robbe-Grillet. La liste des estropiés est longue.
Ses anciens camarades du PCF n’échappent pas à cette mise à mort , notamment Robert Hue, coupable selon Besson d’avoir tué le parti. On retiendra cette saillie drolatique : « Une nouvelle définition pour le mot « mutation » : division par deux ». Mais il y a aussi, dans ce recueil, des textes plus tendres qui nous font entrer dans la mythologie bessonienne. Des déclarations d’amour à sa mère comme cette lettre qu’il lui adresse et où il lance, mi-sincère, mi-goguenard, « eh oui, cette année encore, j’ai raté le Goncourt et le Renaudot (il l’obtint finalement en 1995) ». Car si les coups de griffe de Besson sont spirituels et abrasifs, ses élans du cœur sont désarmants. On aime Besson lorsqu’il vante la prose de son comparse Neuhoff, lorsqu’il écrit sur la Yougoslavie, sur l’Idiot International, sur Claude Zidi, sur Jacques Chardonne, sur son service militaire en Allemagne ou sur Gisela, sa bien-aimée. En réalité, les chroniques bessoniennes étaient des appels à l’aide, des cris dans la nuit à un moment de notre histoire où tout a déraillé, où Droite et Gauche se sont échangé les mêmes arguments, où la vulgarité des médias a fait consciencieusement son lit et où les livres sont devenus des marchandises.
Vous me direz, rien de nouveau dans ce constat ? Sauf que Besson a analysé à chaud les dérives de cette nouvelle société et avec quel talent ! Pour ceux qui auraient une vision déformée de Besson, une sorte de franc-tireur de la presse parisienne passant allègrement de l’Humanité au Figaro ou d’un sale gosse des lettres, il faut lire Le Hussard Rouge pour se souvenir du monde d’avant, avant le déluge, avant la connerie généralisée, avant le chaos mental, etc… Car Besson a dédié sa vie aux livres et ça mérite au moins le respect.
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