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Les années de la jupe

L’école minée par la violence et le séparatisme


Les années de la jupe
Créteil, novembre 2018 : un élève menace une professeure avec une arme factice. DR.

Élèves armés, professeurs agressés ou menacés, la violence fait partie du quotidien de l’Éducation nationale. Mal formés, souvent lâchés par leur hiérarchie et leurs collègues, les profs se retrouvent seuls face à des élèves qui ignorent le respect qu’ils doivent aux adultes. Face à cette crise profonde de l’autorité, l’institution répond encore « inclusivité ».


Dire que l’école n’est plus un sanctuaire est un lieu commun. En quelques décennies elle est devenue une cible désignée du terrorisme islamiste, un champ de bataille de revendications communautaristes, où la violence est de plus en plus présente. Anciennement « creuset de la République », l’école est le théâtre de tous les conflits de la société. Le métier de professeur est un sport de combat face à des incivilités multiples, un sport qui peut signifier danger de mort. En témoignent les cas tragiques de Samuel Paty et Dominique Bernard, mais aussi des violences inédites, qui ne sont plus exclusivement commises au nom de l’islam : en quelques jours, on a appris qu’une collégienne de 12 ans avait menacé sa professeur d’anglais avec un couteau de 30 centimètres, et qu’un élève de troisième avait tenté d’empoisonner une enseignante d’arts plastiques en lui faisant boire du détergent.


Communautarisme musulman et dogme de l’inclusion

L’islamisme n’est donc pas le seul vecteur de cette montée de la violence à l’école. Le délitement de l’institution parle d’une crise profonde de l’autorité. L’école ne suscite plus d’attente chez les élèves et ne leur inspire plus de respect. De moins en moins bien formés, les enseignants se retrouvent souvent jetés devant des classes sans accompagnement. Les directives ministérielles sont contestées par des professeurs idéologisés : l’Éducation nationale est un énorme iceberg à la dérive.

Professeur dans un collège à Lyon, Isabelle vient de jeter l’éponge. Elle parle de jeunes collégiens qui n’ont aucune conscience de la façon dont on s’adresse à un adulte, car ils ne savent pas prendre en compte l’altérité. Encore moins quand elle est assortie d’une position hiérarchique. Ils ne comprennent pas la verticalité et la vivent comme une violence. Dans les classes, le brouhaha est permanent et l’agressivité, le principal mode relationnel entre élèves et avec les enseignants. Dans cet établissement, pas de drame, juste une violence du quotidien à bas bruit. Tout de même, il y a ce professeur de physique à qui un élève a asséné une claque. La sanction : trois jours d’exclusion et un simple changement de classe. Le professeur bafoué a dû subir la parade et les moqueries de son agresseur tout le long de l’année. Elle raconte aussi les parents paumés qui demandent à l’école de « dresser » leurs rejetons, ceux qui défendent les pires débordements ou menacent une hiérarchie incapable d’agir.

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Pour Isabelle, deux facteurs expliquent cet effondrement : la religion, en clair le communautarisme musulman, et le dogme de l’inclusion, qui a conduit à accueillir des élèves dont le handicap physique ou les difficultés sociales et psychologiques sont tellement lourds, qu’ils relèvent d’une prise en charge spécifique. Se trouvant rapidement en situation d’échec, ils peuvent devenir ingérables, voire violents, et gravement perturber toute une classe. S’ajoute, notamment en région parisienne mais pas seulement, l’accueil de primo-arrivants souvent non francophones. Pour les socialiser, l’école n’a que la bonne volonté des professeurs.

La verticalité de l’école d’autrefois permettait la transmission

Pour le psychologue Daniel Pendanx, ces témoignages dépeignent un face-à-face délétère entre professeurs et élèves, abandonnés par une institution qui n’assume pas sa fonction de triangulation. Elle ne sait pas imposer de limites aux demandes des élèves et des parents, ni donner du sens au travail des professeurs. L’institution est devenue une figure maternelle, vouée à l’inconditionnalité et au dévouement. Elle ne joue plus le rôle symbolique du père, qui consiste à doter l’enfant de moyens intellectuels et de connaissances pour aller dans le monde et y trouver sa place.

La légitimité de l’école repose aussi sur sa capacité à porter une promesse d’émancipation. C’est par la promesse d’avenir meilleur que l’école forgeait du commun et poussait à regarder vers le haut. Sa verticalité permettait la transmission. Aujourd’hui, elle est vue comme un espace horizontal qui s’emploie à détruire les identités et à effacer les origines, sans offrir d’horizon commun. D’où le conflit exacerbé avec la communauté musulmane, dont la culture se heurte aux fondements anthropologiques de notre société : égalité entre hommes et femmes, sécularisation, liberté de conscience et d’expression. Entre l’identité valorisée par la famille et le quartier, et cette école qui peine à définir la sienne, on imagine aisément où va la loyauté des jeunes.

Ce contentieux confirme le diagnostic d’Hugues Lagrange établi dans Le Déni des cultures (2010). Il avait fait scandale, simplement en observant que la crise de l’intégration reflétait les différences culturelles et la difficulté de les accommoder. Avec certains élèves, le professeur ne fait pas face à un individu, mais à des logiques collectives claniques liées à la communauté et au quartier. L’élève ne parle pas seulement en son nom, il porte l’honneur du quartier, de son groupe ethnico-religieux en manifestant son adhésion à un autre projet de civilisation que celui des « Français ». Le refus de prendre en compte cette dimension explique l’échec de l’institution face à la pression islamiste.

Le paradoxe, et pour tout dire la machine à rendre fou, c’est que ce refus de voir et de penser les différences culturelles va de pair avec leur exaltation – on affirme à la fois qu’elles n’existent pas et qu’elles sont une merveilleuse source d’enrichissement. La doctrine plaçant l’élève au centre du système éducatif a pour effet de valoriser son identité d’origine. Pour justifier ce choix, l’école dépeint la rencontre interculturelle sous les seuls auspices de la fraternisation et en occulte l’aspect conflictuel, refusant de voir la face sombre de la revendication identitaire, l’incitation au séparatisme. En niant le problème, on a au moins une certitude, celle de ne jamais le résoudre.

Cet aveuglement volontaire nourrit la grande solitude des enseignants et leur sentiment d’abandon. Quand ils sont menacés ou contestés par une action militante, les salles des profs ne font pas corps. Certains collègues sont même les premiers à critiquer le professeur dans la tourmente, comme l’a vécu Samuel Paty. Dans ce chaos, le simple fait que Gabriel Attal nomme les choses pourrait être un tournant.

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Article extrait du Magazine Causeur




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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