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En compagnie des Jésuites avec Paul Auer

"Les Amants de Jésus" de Paul Auer (Cherche-midi,2021)


En compagnie des Jésuites avec Paul Auer
© Le Cherche midi

Malgré un titre peu avenant, le premier roman de Paul Auer, Les Amants de Jésus, est une très agréable surprise.


Fondée en 1540 par Ignace de Loyola, la Compagnie de Jésus, ordre religieux missionnaire et composante de l’Eglise catholique, n’a jamais fait l’unanimité. Ses membres, plus connus sous le nom de Jésuites, ont été moqués par nombre d’écrivains français. Qu’on pense par exemple à Voltaire qui, s’il fut leur élève et confessait volontiers l’admiration qu’il leur avait conservé, ne ratait pas une occasion de les railler, dans son Candide ou dans d’autres écrits. Qu’on pense aussi à Marcel Jouhandeau, à qui l’on doit cette définition dans Chaminadour : « (…) ce que c’est que d’être un jésuite ? – C’est (…) d’apporter un raffinement particulier dans l’art des combinaisons. Par exemple dans l’art de punir ».

Les Jésuites: des religieux haïs

Avant que l’un d’entre eux – Jorge Mario Bergoglio, dit « François » – ne devienne pape à l’issue du conclave de mars 2013, les Jésuites n’avaient toujours pas très bonne presse, comme le rappelle incidemment Paul Auer dans les toutes premières pages des Amants de Jésus. Dans Le Figaro, ils étaient ainsi considérés comme des « communistes sous couvert d’aimer les pauvres », c’est-à-dire aussi mal vus que « le comité catholique contre la faim, soutien des mouvements marxistes en Amérique centrale » pour ce quotidien de la droite bon teint.

Depuis François, ils sont carrément honnis de certaines franges du catholicisme – de « factions » diraient les catholiques abonnés à La Croix, La Vie, Témoignage chrétien ou Golias –. Ils sont plus particulièrement haïs de ce que Paul Auer décrit comme la « nouvelle génération de prêtres fraîchement rasés, parfumés, les cheveux courts, le col romain » : « prêtres de charme, sûrs de leur mission et de leur statut, qui [aiment] écarter les bras et lever les mains pendant que leur chasuble [se gonfle] et que le peuple [s’agenouille], régalé par le son et lumière, les homélies de salon de coiffure » ; « acteurs en représentation tous les dimanches matins » dont il est « impossible de croire une seconde qu’[ils portent] sur leurs épaules le péché du monde, que le sang de l’agneau immolé [coule] dans leurs veines ».

Les détestent aussi, plus encore peut-être que ces « cathos tradis », ceux que l’on appelle les « intégristes » (les « cathos de combat » de Civitas ou les « lefebvristes » de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X). Peut-être parce que le premier d’entre eux, Ignace de Loyola était un « juif marrane », c’est-à-dire un juif séfarade converti au catholicisme. Ou peut-être parce qu’ils croient à la « thèse » selon laquelle les Jésuites auraient participé, aux côtés des francs-maçons, à la chute de l’Ancien Régime, à la subversion des valeurs traditionnelles, soit à un vaste « complot » contre l’Eglise catholique.

Un ordre religieux dynamique

Si la Compagnie de Jésus ne fait pas l’unanimité au sein de ce que Jean-Robert Pitte, dans un passionnant essai de « géographie culturelle » (Tallandier, 2020), appelle « la planète catholique », elle n’en demeure pas moins un ordre particulièrement dynamique, dont le rayonnement intellectuel n’est pas, loin de là, une vue de l’esprit. Pour mieux la connaître, on peut évidemment lire Etudes, sa « revue de culture contemporaine », fondée en 1856 par certains de ses « Pères jésuites ». On peut aussi lire deux autres publications phares : la spirituelle Christus ou la plus temporelle revue Projet, qui s’est récemment dotée d’une pédagogique chaîne YouTube, sur laquelle – entre autres – l’économiste (et prêtre) Gaël Giraud aborde avec clarté des sujets tels que « le projet Hercule » ou la notion d’ « argent magique » chez Emmanuel Macron. Les angles d’attaque et les idées que l’on y croise reflètent l’originalité de la pensée jésuite, qui n’est pas qu’une casuistique améliorée, ce à quoi on l’a réduite de façon caricaturale. Et cela permet aussi de comprendre en quoi, pour d’aucuns, elle n’est peut-être pas toujours « très catholique »

Mais pour mieux approcher cette Compagnie, sa logique et, surtout, son intérêt, qui est grand, le mieux est peut-être de lire Les Amants de Jésus (le cherche-midi, 2021).

L’auteur, en effet, connaît manifestement très bien la Compagnie.

Un roman sur la Compagnie et la France des quarante dernières années

Ceci étant dit, ce n’est pas seulement pour cela qu’il faut lire ce premier roman de l’inconnu que demeure pour l’instant Paul Auer. Les Amants de Jésus se lit d’une traite. C’est en effet volontiers que l’on suit les vicissitudes du héros, un jeune homo féru de mathématiques, issu de cette « bourgeoisie d’origine rurale adhérant à un certain ordre social », dont les représentants vont à la messe, obéissent à « une Eglise dont ils [n’écoutent] pas les sermons, redoutant seulement que le rituel devienne un jour l’occasion d’une vraie prière, partagée et sincère », invoquent « un Dieu dont ils [espèrent] secrètement qu’Il [restera] à jamais muet, comme Il [l’a été] jusqu’à ce jour dans leur vie ». Et qui fait le choix, à la fois délirant et grandiose, d’entrer dans l’ordre pour, à terme – dix ans…-, devenir l’un de ces jésuites qu’il admire, non sans raisons.

Contre toute attente, Paul Auer sait nous tenir en haleine. Peut-être parce qu’il sait écrire, et que son style, à la fois d’un très grand classicisme et résolument moderne, est un plaisir pour les yeux. Peut-être, aussi, parce que Paul Auer ne nous parle pas seulement de la Compagnie de Jésus ou de cette archipelisation théorisée par Jérôme Fourquet et à laquelle l’Eglise catholique n’échappe pas, mais aussi de notre époque ou, du moins, des multiples mutations de la société française des quarante dernières années.

Et qu’il le fait sans crier au déclin, sans nous répéter ad nauseam que « c’était mieux avant », qu’il faut « liquider l’héritage de Vatican II et Mai 68 », que «  ce qu’il faudrait, c’est une bonne guerre ». En racontant, à sa manière, une histoire. Une histoire ni belle ni laide. Que le lecteur, s’il est honnête, se trouvera sans doute surpris, une fois le livre refermé, d’avoir vécue comme si elle avait été la sienne.

Les Amants de Jésus de Paul Auer (Le Cherche-Midi)

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est juriste de formation. Il tient depuis bientôt une année une rubrique consacrée au cinéma sur un site bourguignon d’information en ligne .

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