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Les absents ont toujours raison

Le journal de l'ouvreuse


Les absents ont toujours raison
© Soleil

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !


On aura tout essayé. Orchestres réduits pour respecter le mètre barrière, public masqué un siège sur deux, pièces abrégées sans entracte, concerts à 17 heures pour tenir le couvre-feu. Quand Monsieur Jean a interdit les spectacles, Madame Roselyne a trouvé l’astuce : « Certaines activités professionnelles peuvent continuer dès lors qu’il n’y a pas de public. » À la différence du confinement n° 1, le confinement n° 2 autorisait ainsi les tournages, les répétitions à huis clos, les enregistrements, tout ce qui se passe de public.

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Tout le monde s’est mis à streamer

Alors on y est allé franco. L’Opéra de Paris, au point mort depuis un an, a enregistré l’intégralité du Ring : quinze heures de Wagner sur France Musique pour les adieux du chef Philippe Jordan, hop c’est dans la boîte. Tout le monde s’est mis à streamer en espérant que Madame Roselyne tiendrait la caisse à défaut de la barre. L’Opéra-Comique a aiguillé vers son site internet la tragédie de Rameau que les artistes répétaient depuis septembre. Au lieu de Donizetti, la Scala de Milan s’est fendue d’un gala All-Star avec incrustations 3D et garde-robe Armani. Les Forces musicales, regroupement d’une cinquantaine d’orchestres et de théâtres lyriques, nous ont fait « L’amour de loin », premier festival d’opéras, concerts et ballets en ligne 100 % made in France…

Quelquefois, on se marre : l’Opéra de Rennes nous a pomponné une joyeuse Dame blanche (le tube que brame Tintin ivre dans Le Crabe aux pinces d’or). Quelquefois moins : Lohengrin envoyé de Berlin sur Arte c’était, comment dire ? Arte. Dans tous les cas, on piaffe. On s’énerve. Ces salles vides, ce silence, cette absence ! Cet absentiel diraient nos technolâtres qui viennent d’inventer la notion de présence comme cas particulier, quasi trouble à l’ordre public.

Exception viennoise

Tous les cas sauf un : le traditionnel concert du Nouvel An à Vienne. Suite de polkas et de valses moitié kitsch moitié punch, instituée par les nazis en Quarante, mais jugée pacificatrice par les Alliés et maintenue sans pause depuis lors au même titre que la fête des mères ou le beaujolais nouveau. Évidemment, la cage dorée du Musikverein, vide elle aussi, fait un peu peur. Mais ce concert-là ne s’adresse qu’accessoirement au public local. Télévisé depuis 1958, il touche plus de 50 millions d’âmes dans une centaine de pays. Avec ou sans auditoire, ce 1er janvier 2021, qui aura senti la différence ?

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Roselyne Bachelot à Deauville le 4 septembre 2020 © Jacques BENAROCH/SIPA Numéro de reportage: 00979862_000173.
Roselyne Bachelot à Deauville le 4 septembre 2020 © Jacques BENAROCH/SIPA
Numéro de reportage: 00979862_000173.

Prêts pour l’absentiel participatif généralisé?

Un seul hic : le bis. Après le programme officiel (famille Strauss et compatriotes), le chef dirige les premières mesures du Beau Danube bleu, que le public interrompt en applaudissant, l’orchestre s’arrête et crie « prosit Neujahr ! », « bonne année ! », le chef reprend alors son Danube, jusqu’au bout. Rituel immuable. Or là, pas de public, pas d’applaudissements, pas de tradition. Pas de tradition ? À Vienne ? Jamais vu ça. Le Philharmonique a donc trouvé la parade. Vendredi 1er à 11 h 15, si vous vouliez applaudir, vous vous inscriviez sur son site et allumiez votre smartphone ou votre ordinateur. « Les applaudissements à la fin de chaque moitié de concert retentiront en direct dans le Musikverein grâce à la sono et seront également audibles dans la retransmission TV. » Plus fort : « Ceux qui le souhaitent pourront envoyer une photo créative au préalable pour partager leur enthousiasme. Certaines photos seront diffusées pendant les applaudissements. » Prêts pour l’absentiel participatif généralisé ? Cinq, quatre, trois, deux, un… Bonne année !

Janvier 2021 – Causeur #86

Article extrait du Magazine Causeur




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