Après l’attentat manqué de Noël, la sécurité du transport aérien et les problèmes liés au contrôle des passagers sont de nouveau à l’ordre du jour. À la suite du 11 septembre, un premier resserrement des mesures de sécurité avait alourdi et prolongé les procédures d’embarquement. Depuis l’attentat raté de Richard Reid, le « shoe bomber« , nous sommes tous priés d’ôter nos chaussures et grâce aux terroristes qui planifiaient en 2006 de faire sauter un avion à l’aide d’explosifs liquides, nous sommes privés de notre trousse de toilette en cabine. Désormais, après l’échec d’Umar Farouk Abdel Muttalib, le jeune Nigérian qui a essayé de faire sauter le vol Amsterdam-Detroit avec quelques dizaines de grammes d’explosifs, on promet de nous mettre tous à poil – technologiquement bien sûr. On n’ose pas imaginer la solution qui sortira du chapeau des responsables de la sécurité le jour où on apprendra qu’un terroriste avait placé des explosifs dans ses intestins, comme le font déjà les trafiquants de drogue…
Comme disent les Américains, nous sommes de toute évidence en train d’aboyer sous le mauvais arbre : nous cherchons toujours l’arme. Or, on sait désormais que l’arme peut être l’avion – comme ce fut le cas le 11 septembre – voire le terroriste lui-même. Or, par inertie et manque d’audace politique, les responsables de la sécurité continuent obstinément à chercher l’arme qui n’en est plus une. Enfin, il faut intégrer une évidence aussi simple que terrible : un homme résolu, bien entraîné et prêt à mourir peut faire s’écraser un avion – voire dérailler un train ou précipiter un car dans un ravin – les mains nues. Au lieu d’admettre cette triste réalité, en prendre acte et en tirer les conclusions, on nous propose une solution technologique de plus. Et il ne s’agit même pas d’un engin capable de lire les pensées mais d’une machine de plus consacrée à détecter les armes.
L’honnêteté intellectuelle oblige cependant à reconnaître que ces mesures ont porté leurs fruits. Si depuis 66 mois aucun passager n’a perdu la vie à cause d’un attentant, ce n’est pas parce que les organisations terroristes n’ont pas essayé. Il ne faut pas oublier que dans les cas d’Abdel Muttalib et de Richard Reid, le défi des nouvelles mesures de sécurité n’a été que partiellement relevé par les terroristes qui, faute de détonateurs (détectables), n’ont pas réussi à fabriquer un engin fiable. Mais la logique actuelle a atteint ses limites car au Yemen, en Afghanistan ou derrière les écrans d’ordinateurs du monde entier, de gros cerveaux se penchent sur le problème et ils finiront par trouver une solution meurtrière, ce n’est qu’une question de temps.
En fait, pour arrêter Farouk Abdel Muttalib à Schiphol, il n’y avait nul besoin de fouille sophistiquée. Il aurait suffi d’examiner les billets d’avion et l’itinéraire du passager. Premier indice : Abdel Muttalib avait acheté à Accra (Ghana) des billets pour un périple bien curieux : Accra-Lagos, Lagos-Amsterdam, Amsterdam-Detroit. Pourquoi ? Des vols directs relient régulièrement Accra et New York. Deuxième fait qui aurait dû éveiller les suspicions : Abdel Muttalib avait acheté ses billets tardivement et surtout, selon Yossi Melman du quotidien israélien Haaretz, il les a payés cher (2 800 dollars) et en cash. Ces seuls faits aurait dû suffire à l’isoler du reste des passagers, à l’interroger professionnellement, à le fouiller méthodiquement et à envoyer une photocopie de son passeport à toutes les agences concernées. Payer une place en première classe et un million de miles aux passagers soupçonnés à tort reviendrait moins cher que d’acheter et d’entretenir des centaines de machines, sans parler des files d’attente interminables capable de faire sortir de leurs gonds n’importe qui, même des préfets.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, même dans les opérations terroristes les plus sophistiquées – comme le dernier attentant manqué – les planificateurs ne pensent pas à tout, et les billets d’Abdel Muttalib en sont le dernier exemple. Comme les services français (voir l’affaire Rainbow Warrior), israéliens (l’affaire de Lillehammer) ou américains (le dernier attentat en Afghanistan contre la CIA), Al Qaeda n’est pas infaillible, loin de là ! Le terroriste ne ressemble que très rarement à un « voisin de palier », et même lorsque c’est le cas, il s’agit d’une ressemblance superficielle. En revanche, son comportement et son itinéraire s’écartent tellement souvent du normal et du probable qu’ils le trahissent. Ce sont ces petits indices qui devraient intéresser aujourd’hui les responsables de la sécurité aéroportuaire.
La sécurité des aéroports doit changer de paradigme et se tourner vers la composante humaine de l’équation : l’homme qui voyage et celui qui le contrôle. Mais le plus important est le constat suivant : la terreur est à notre civilisation ce que l’accident de la route est à la voiture. Elle fait désormais partie de notre vie, et le mieux qu’on peut espérer de nos institutions est de la réduire à un minimum tolérable et cela à un prix économique raisonnable.
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