J’ai bien failli me faire avoir. Je trouvais même un vague air cornélien à ce déchirement familial devenu une affaire publique. Quand j’ai vu Marine Le Pen évoquer son « trouble » tout en condamnant Jean-Marie, je suis allée jusqu’à m’interroger sur ce qu’éprouvait une fille obligée de renier publiquement son père, c’est dire si j’étais naïve. Mes estimés confrères experts en lepénologie m’ont déniaisée. Tout ça, c’était du chiqué. Un jeu de rôles. « Une rupture qui tombe à point nommé », c’était écrit dans Le Monde. Ils sont malins, ces gens du Monde.
N’empêche, ces Le Pen sont de sacrés acteurs. Surtout la fille. Chez elle, c’est simple, tout ce qui se voit est faux – les sentiments qu’elle exprime, les paroles qu’elle prononce. Il suffit de comprendre le système : si elle parle de République, c’est la preuve qu’elle nourrit de noirs desseins à son encontre ; si elle déclare que la Shoah est le crime le plus monstrueux du xxe siècle, cela révèle son antisémitisme ; et si elle défend les ouvriers, c’est parce qu’elle est soumise au grand capital. En somme, sa seule vérité, c’est ce qu’elle s’efforce désespérément de cacher, les idées pourries qu’elle a héritées de son père. À supposer que ce soit son vrai père. Parce que si ça se trouve, ces Le Pen, c’est une famille en toc. Ou alors, un genre d’envahisseurs, d’apparence humaine – et encore –, mais dépourvus de la principale caractéristique de l’espèce : la conscience et tout ce qui va avec. Sachez-le, ces gens n’ont ni émotions, ni convictions. Les veinards ! Elisabeth Lévy
La mort du père
Une tragédie de Pierre Corneille (librement inspirée de La Mort de Pompée)
Adaptation : Daoud Boughezala
« Il y a quelque chose d’extraordinaire dans le titre de ce poème, qui porte le nom d’un héros qui n’y parle point ; mais il ne laisse pas d’en être, en quelque sorte, le principal acteur, puisque sa mort est la cause de tout ce qui s’y passe… », Corneille.
Tableau : le Carré, siège du Front national, Nanterre. Après une énième provocation de son père, Marine Le Pen réunit le Bureau national du parti.
Marine Le Pen, salue les présents, exhibe plusieurs coupures de presse.
Ce déplorable Chef du parti le meilleur,
Que sa Fortune lasse abandonne au malheur,
Devient un grand exemple et laisse à la mémoire
Des changements du Sort une éclatante histoire.
C’est de quoi, mes amis, nous avons à résoudre,
Il apporte en ces lieux les palmes, ou la foudre.
Il faut le recevoir ou hâter son supplice,
Le suivre ou le pousser dedans le précipice :
L’un me semble peu sûr, l’autre peu généreuse
Et je crains d’être injuste, et d’être malheureuse ;[access capability= »lire_inedits »]
Quoi que je fasse enfin, la Fortune ennemie
M’offre bien des périls, ou beaucoup d’infamie,
C’est à moi de choisir, c’est à vous d’aviser.
Florian Philippot, interrompt la présidente, se lève puis se rassied.
Le défendrez-vous seul contre tant d’ennemis ?
L’espoir de son salut en lui seul était mis.
Seigneur, n’attirez point le tonnerre en ces lieux,
Rangez-vous du parti des Destins et des Dieux,
Et sans les accuser d’injustice ou d’outrage,
Puisqu’ils font les heureux, adorez leur ouvrage,
Quels que soient leurs décrets, déclarez-vous pour eux,
Et pour leur obéir, perdez le malheureux.
Pressé de toutes parts des colères célestes,
Il en vient dessus vous faire fondre les restes,
Et sa tête qu’à peine il a pu dérober,
Toute prête de choir, cherche avec qui tomber,
Sa retraite chez vous en effet n’est qu’un crime,
Elle marque sa haine, et non pas son estime,
Il ne vient que vous perdre en venant prendre port,
Et vous pouvez douter s’il est digne de mort !
Vous ne pouvez enfin qu’aux dépens de sa tête
Mettre à l’abri la vôtre et parer la tempête.
Louis Aliot, d’un air hésitant.
Ne pas le secourir suffit sans l’opprimer.
En usant de la sorte on ne peut vous blâmer.
Comme il parla pour vous, vous parlerez pour lui.
Ainsi vous le pouvez et devez reconnaître,
Le recevoir chez vous c’est recevoir un maître
Qui tout vaincu qu’il est bravant le nom de Roi
Dans vos propres États vous donnerait la loi.
Fermez-lui donc vos Ports mais épargnez sa tête,
S’il le faut toutefois ma main est toute prête,
J’obéis avec joie, et je serais jaloux
Qu’autre bras que le mien portât les premiers coups.
Marion Le Pen, agacée.
Vous pouvez, comme maître absolu de son sort,
Le servir, le chasser, le livrer vif, ou mort,
Des quatre le premier vous serait trop funeste,
Souffrez donc qu’en deux mots j’examine le reste.
Le chasser, c’est vous faire un puissant ennemi,
Sans obliger par là le vainqueur qu’à demi,
Puisque c’est lui laisser et sur Mer et sur Terre
La suite d’une longue et difficile guerre.
Il faut le délivrer du péril et du crime,
Assurer sa puissance, et sauver son estime.
Marine Le Pen, avec gravité
J’ai fait ce que les Dieux m’ont inspiré de faire,
Et que pour mon État j’ai jugé nécessaire.
Marion Le Pen, assassine Florian Philippot du regard puis fixe sa tante des yeux.
Ah, s’il est encor temps de vous en repentir,
Affranchissez-vous d’eux, et de leur tyrannie,
Rappelez la vertu par leurs conseils bannie,
Cette haute vertu, dont le Ciel et le sang
Enflent toujours les cœurs de ceux de notre rang.
Marine Le Pen, étrangle un sanglot.
Je l’aime, mais l’éclat d’une si belle flamme,
Quelque brillant qu’il soit, n’éblouit point mon âme.[/access]
*Photo : Lionel Cironneau/AP/SIPA. AP21580669_000003.
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