Pour apprécier à sa juste mesure la première traduction française de ce Verbe dans le sang du prêtre et écrivain argentin Léonardo Castellani, il faut se souvenir de l’impact qu’eut en 2003 la parution des Horreurs de la démocratie du colombien Nicolas Gómez Davila. Depuis, Gomez Davila n’a cessé d’influencer la pensée politique néo-réactionnaire en Europe. Il en ira de même avec Castellani, surnommé « le curé fou » de son vivant.
Jésuite en rupture de ban
Le Verbe dans le sang permet de lire un recueil de textes parus dans la presse, ici classés en trois parties : « Élus et Réprouvés », « L’homme est un chercheur de chaînes » et « Nouvelles de l’Apocalypse ». Un recueil servi par une introduction de haut vol. Jésuite en rupture de ban, érudit incroyable, visionnaire à l’humour incisif, Castellani évoque tour à tour des figures telles que Bloy, Wells, le Christ, Claudel, Wilde ou Hopkins, mais aussi des sujets lui permettant de développer sa conception religieuse et politique du monde. Une conception contre-moderne, et en avance sur notre époque : « Aujourd’hui, nous sommes tous nuancés. À part les « nazis », bien sûr. Ceux-là, n’en parlons pas. Ils sont tombés dans l’abomination sans demi-teintes. Et c’est ainsi que le criminel s’est désormais transformé en malade, le pervers en individu blessé par la vie, le possédé en hystérique ou en épileptique. L’objectif a été de sauver le diable avec élégance, en le fardant et en le maquillant. Allez, calmez-vous, Satan n’est pas aussi sinistre que vous le peignez ! Soyons humains, montrons-nous affables avec lui ! » (article datant de 1956).
Un grand oublié de la bibliothèque universelle
Castellani a « le Verbe dans le sang », il œuvre existentiellement à la résurgence du Sens dans le réel. Et donc des limites, cela que le contemporain combat. L’écrivain parle ainsi de « démocratie », de politique, de théologie, de la mort, de philosophie ou du Mal – au cœur de ses préoccupations. Le Mal, il en a vu la réalité en Argentine et dans le cœur des hommes. Il en a subi la violence. Castellani, l’une des principales figures des lettres argentines du siècle passé, ayant laissé romans, contes, textes philosophiques ou essais, est pourtant un des grands oubliés de la bibliothèque universelle. Trop infréquentable jusqu’à présent. Ce qui fait tout le sel de cette parution.
À ce propos, Audouard écrit : « Notre époque a fait plus que l’oublier : elle s’est offert le luxe d’oublier qu’elle l’a oublié ». Le silence et l’oubli, façon de nier les écrivains non conformistes. Nos démocraties, desquelles Castellani ne pensait pas grand bien, n’ont de ce point de vue rien à envier aux régimes qu’elles se prévalent de combattre.
Critique des lâchetés du clergé
Son avis sur la « démocrasserie libérale », comme il écrivait ? « Ce système pratique une sélection à l’envers car il met le politicien dans un rôle de médiateur obligatoire entre le pouvoir et la « volonté (soi-disant) souveraine » du peuple. Et par peuple, comprenez la foule, toujours déçue, toujours insatisfaite. Le politicien est un mauvais homme d’État par définition et par sa fonction même. Abandonner aux mains d’un dupeur professionnel, d’un tribun vaniteux, d’un cabotin ou d’un histrion cet instrument dont la société humaine a besoin pour être gouvernée – instrument redoutable, délicat, d’un usage périlleux – est une histoire de fous. À croire que Castellani avait déjà entendu parler de notre Tartuffe mondialiste actuellement au pouvoir.
Un écrivain catholique et jésuite, emprisonné un temps et tombé dans la misère, critique des lâchetés du Clergé, poète ayant pour habitude de porter la cravate sous la soutane et conchiant ce Moderne qu’il appelait la « falsification », quelle belle lecture !
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