Depuis des siècles, les pages Culture du Figaro sont un repère de trissotins centre-gauche, uniquement obsédés de prouver à leurs confrères du Monde et de Télérama qu’on peut à la fois être salarié par Dassault et faire de la résistance citoyenne au quotidien.
Pour ceux qui ont la chance de ne jamais les avoir ouvertes, c’est le genre d’endroit où les Dardenne sont toujours bouleversants, Buren toujours dérangeant et Boulez toujours séminal.
Vous voyez le genre ? Logiquement, quand un garçon comme moi ouvre lesdites pages, plus rien ne devrait l’étonner, et encore moins l’indisposer. Il sait à l’avance qu’aucune niaiserie, aucune tartufferie, aucune bourdieuserie ne lui sera épargnée. Hum. Ça c’est la théorie. On se croit à l’abri, mais manque de bol, y a toujours un paltoquet un peu plus hargneux que la moyenne de ses camarades pour vous faire regretter le bon vieux temps des soufflets et des duels de presse.
Et c’est précisément ce qui m’est arrivé mardi dernier, à la lecture du compte-rendu signé Olivier Nuc de la série de concerts que Leonard Cohen vient de donner à l’Olympia. Le problème n’est bien sûr pas que ce garçon écrive « Cohen revient aujourd’hui sans rien avoir de neuf à proposer. Son dernier album en date, Ten New Songs, est sorti en 2001, et on ne peut pas dire qu’il ait autant marqué les esprits que ses autres disques ». Après tout, personne n’est obligé d’aimer les bons disques, et c’est le droit le plus absolu d’Olivier Nuc de penser que Leonard Cohen est définitivement un has-been, contrairement par exemple à Bertrand Cantat, dont il célébrait le come-back quelques jours plus tôt dans les mêmes colonnes en expliquant sans rire que Gagnants-Perdants était « une superbe ballade aux accents breliens ». Cantat un nouveau Brel et Cohen un vieux ringard, pourquoi pas ? Encore une fois, là n’est pas le problème (sauf peut-être pour les malheureux qui vont dîner chez Olivier Nuc et doivent subir poliment toute la musique qu’il aime, sous peine d’être obligés de s’intéresser à sa conversation).
Non, le vrai problème avec Olivier Nuc, c’est la suite de l’article, quand il nous fait part de ses considérations économiques et sociales sur le prix des billets, ce qui est fort compassionnel, vu qu’il n’a pas, lui, payé sa place. On imagine que l’auteur a dû être bon élève, car ses considérations sont une sorte de dissert’ en trois parties.
Tout d’abord, Olivier Nuc dresse le constat, forcément accablant : « Pour assister à l’un de ces trois concerts, il fallait débourser une somme rondelette, comprise entre 95 et 161 €. » Jusque-là, rien à dire, on est dans le factuel comme on dit dans la grande presse. D’ailleurs, je dois l’avouer, moi aussi, j’ai trouvé ça un peu chérot. Moins cher quand même que le 6 pièces-cuisine de mes rêves place Furstenberg et la Bentley Arnage qui va avec, mais bon, un peu cher quand même
Mais c’est l’analyse, forcément lumineuse, de notre guérillero figaresque, qui a libéré en moi des pulsions agressives dont tous mes amis savent pourtant qu’elles sont plutôt rares : « Reprendre la route pour donner des concerts constitue un des plus sûrs moyens de faire une bonne opération financière pour un musicien, alors que les disques ne se vendent plus. » Un musicien qui veut gagner de l’argent, quelle horreur ! Au Figaro, on ne transige pas avec le règne de l’argent. (Enfin j’imagine qu’Olivier Nuc écrirait plutôt « avec le règne de l’argent-roi », c’est plus stylé.)
Et enfin vient la conclusion forcément éleveuse de débat : « Difficile de ne pas se souvenir, pourtant, que le même homme chanta au festival de l’île de Wight en 1970, et qu’il était tête d’affiche de la Fête de l’Humanité quatre ans plus tard. Dans ces années-là, Cohen incarnait une certaine alternative au modèle dominant. Le voir ainsi rattrapé par le marché et considéré comme une valeur marchande a quelque chose de gênant. »
Franchement, lecteurs chéris, comment garder son sang-froid dans des circonstances aussi criminogènes ?
D’ailleurs, à défaut de pouvoir hic et nunc briser net la clavicule d’Olivier Nuc d’un gracieux coup de nunchaku (c’était mon « modèle dominant » d’expression à moi dans ces regrettées années 70), ma première réaction, en lisant cette daube insane, fut d’ordre fantasmatique. J’imaginais l’excellent Ivan Rioufol débarquant furibard dans le bureau d’Olivier Nuc, lui donnant sans plus d’explications la fessée déculottée devant tous ses petits camarades des pages Culture et l’obligeant ensuite à recopier mille fois sur son écran : « Le mot marché n’est pas une injure dans les colonnes du Figaro ! »
Ça a suffi à me calmer, un peu. Mais le parti du bon goût n’est pas quitte. Il crie vengeance pour Leonard. Il veut du sang. Désormais Olivier Troudunuc et toutes les autres lavettes citoyennes de sa rubrique – sont classés dans mon rayon « ennemis personnels » quelque part entre la Halde et Rue89. Vous aurez bientôt de leurs nouvelles.
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