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Léonard Cohen, ce grand mystique

Au-delà d’un texte, la quête infinie de Leonard Cohen est la rencontre avec Dieu...


Léonard Cohen, ce grand mystique
Léonard Cohen, 1992 © Alliance/DPA/Bridgman

Écartelé entre sa foi juive et sa quête de sainteté zen, Léonard Cohen a aussi été un fervent drogué et un accro au sexe. La biographie que lui consacre Pascal Bouaziz nuance ses contradictions existentielles et rend hommage à un artiste écorché. Hallelujah !


En 2016, Léonard Cohen, musicien et poète de génie, auréolé du mythe du Juif errant, nous quittait. Pascal Bouaziz – lui-même musicien et auteur-compositeur pour deux groupes majeurs de la scène underground française, Mendelson et Bruit noir – lui consacre une belle biographie sobrement intitulée Léonard Cohen. De lui, il a tout vu, tout lu, tout écouté, et il nous le prouve. Pour Bouaziz, Cohen a été un modèle, littéraire et musical, mais peut-être, aussi, une espèce de double : « Je suis né le même jour que Léonard Cohen, un 21 septembre, lui en 1934, moi en 1972 : la même année que son fils, Adam. Depuis trente ans, je m’évertue à écrire des chansons aussi pures, aussi belles, aussi violentes, aussi crues, aussi vraies que les siennes. »

C’est pourquoi cette biographie s’apparente à une déambulation, à une espèce de quête de fragments de vie pour reconstituer le personnage de Cohen, ses forces, ses failles, son côté terriblement attachant mais aussi, parfois, détestable : un être humain quoi ! Au fil des pages, on découvre et on cherche à comprendre cet éternel étranger, cet homme à femmes – baiseur compulsif – ce poète habité par une foi véritable, son rapport à Dieu qui est peut-être, tout au long de sa vie, ce qui lui a permis de ne pas sombrer.

La judéité tient une place centrale dans l’existence et dans l’œuvre de Léonard Cohen. Ainsi Dance With Me to the End of Love – l’une des plus belles chansons du monde, selon Pascal Bouaziz – n’est pas une chanson d’amour, mais un hommage aux déportés qui étaient obligés de jouer du violon dans les camps de concentration. Quant à Chelsea Hotel #2, vraie chanson d’amour celle-ci, elle a rendu mythique sa brève relation avec Janis Joplin.

Belle, crue, violente… ces adjectifs résument à eux seuls la vie de Cohen. Né à Montréal dans une famille juive pratiquante, d’origine lituanienne, il mène une enfance heureuse. C’est un petit garçon remuant, curieux de tout et qui, à la synagogue, veut lire la Torah et tourner ses lourdes pages. Dieu déjà. Mais Léonard est l’archétype du Juif errant et, très tôt, il a envie de fuir, de voir autre chose, pour se trouver, se révéler ou se retrouver : reconstituer une âme éparpillée. Il pose d’abord sa valise à Londres, avec sa grisaille, puis en Grèce, dans la mythique île d’Hydra, avec son aveuglante lumière. Là, il rencontre la non moins lumineuse Marianne et le couple entre dans la légende. Cependant, tout n’est pas si rose : Marianne lui est dévouée, mais il la trompe tout le temps, de manière quasi compulsive, et il finit par la quitter. Ce point est récurrent tout au long de sa vie, il court derrière les femmes, il les cherche puis il les fuit. Serait-ce son éternelle quête de l’absolu ? Il en est une cependant qui lui tient tête avant de devenir une muse un tantinet soumise : Suzanne, la mère de ses enfants. Les artistes n’ont pas besoin de femmes fortes.

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Léonard Cohen a été poète et écrivain avant de devenir musicien, alors qu’écrire a représenté pour lui une terrible souffrance. Cela n’a pas empêché son roman Les Perdants magnifiques (« Beautiful Losers »), publié en 1966, de connaître un beau succès et d’être considéré comme l’un des romans expérimentaux les plus réussis de ces années-là. Son récit ferait passer Kerouac – exsangue et gavé d’amphétamines – pour un premier communiant. Cette difficulté d’écriture se retrouve avec sa chanson Hallelujah qu’il met plusieurs années à achever, ce qui a bien fait rire Bob Dylan qui disait écrire ses chansons en cinq minutes.

Mais au-delà d’un texte, la quête infinie de Léonard Cohen est la rencontre avec Dieu, il le cherche partout : dans les drogues, dont il a abusé plus que de raison, dans le sexe, dans l’écriture, sur scène… Rien de tout cela ne l’a pourtant éloigné de sa dépression chronique, jusqu’à sa conversion au bouddhisme zen qui a été pour lui comme une rédemption. S’il est apaisé par la mystique asiatique, il n’en demeure pas moins fidèle au judaïsme de ses origines qui lui a appris à douter : il aime dire qu’il croit en Dieu un jour sur deux.

Et en lisant Les Perdants magnifiques, on est tenté de penser que Léonard Cohen a été en quête d’une sorte de sainteté ; il en donne une définition bouleversante : « Qu’est-ce qu’un saint ? Un saint c’est quelqu’un qui a atteint une lointaine possibilité humaine. Il est impossible de dire ce qu’est cette possibilité, je pense que ça a quelque chose à voir avec la possibilité de l’amour. Le contact avec cette énergie aboutira à une sorte d’équilibre dans le chaos de l’existence. Un saint ne dissout pas le chaos, s’il le faisait, le monde aurait changé depuis longtemps. »

L’auteur souligne d’ailleurs que même les drogues n’ont pas entamé son « capital sainteté » : « Que ce drogué qui ne s’est jamais caché de l’être ait pourtant gardé cette image de pureté, de sainteté, de sagesse de moine zen est un grand mystère. »

Ici s’impose la comparaison avec Daniel Darc, autre grand junky, qui se disait « ange déçu », et qui, lui aussi, après avoir abusé de tout, a trouvé une consolation dans la religion. Ce dernier aurait pu faire sienne cette phrase de Léonard Cohen, dans sa chanson Anthem : « There is a crack in everything, that’s how the light gets in » (« Il y a une fissure en toutes choses, c’est ainsi qu’entre la lumière »).

Pascal Bouaziz, Leonard Cohen, « Les indociles », Hoëbeke, 2022.

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Février 2023 – Causeur #109

Article extrait du Magazine Causeur




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est enseignante.

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