Tandis qu’en Occident les Etats demandent aux entreprises de se retirer de pays qu’ils n’approuvent pas sur le plan moral, la Chine utilise ses propres entreprises pour étendre à l’étranger son influence économique et son pouvoir politique. Le recours systématique à des programmes de sanctions par les Occidentaux risque de nuire gravement à notre économie et à la santé de nos entreprises.
Le devoir citoyen de l’entrepreneur s’il existe, doit-il aller jusqu’à risquer sa vie d’entreprise pour des combats qui en principe ne la concerne pas ? C’est non seulement un sujet économique mais un sujet sociétal. On a longtemps pensé que le commerce était un facteur de paix, que le libéralisme et le commerce mondial signerait la fin des guerres dans les pays aux échanges commerciaux actifs, en quelque sorte une garantie de paix ; on s’aperçoit que ce n’est pas très efficace certes, mais que la mondialisation a quand même changé la donne et favorisé les échanges sur tous les plans.
La situation internationale actuelle pose question car elle introduit en Occident la notion relativement nouvelle de sanction économique. Ainsi les entreprises européennes ont-elles été sommées par l’Union européenne de quitter la Russie dans les meilleurs délais, peu importaient les conséquences économiques et humaines pour les salariés.
Mais on pourrait aussi dire que les entreprises demeurent un lien certain entre les populations qui travaillent ensemble, quelles que soient leur nationalité, et que c’est un facteur de paix. Ainsi l’association des Chrétiens d’Orient a-t-elle détourné sa vocation première en investissant dans des start-up et dans des entreprises de pays en conflit comme des investisseurs classiques pour la seule et bonne raison – et le constat est formel – que la meilleure façon de réunir des communautés entre elles et de les réconcilier est de les faire travailler ensemble dans la même entreprise ! qui l’eût cru ? La communauté de l’entreprise devient alors plus forte que les divergences, une sorte de groupe social familial qui gomme un peu l’adversité. Ce n’est évidemment pas un remède miracle mais suffisamment intéressant pour que l’expérience soit renouvelée et entérinée. Au Proche-Orient, les entreprises jouent un rôle décisif dans la pacification des rapports entre les différentes communautés, SOS Chrétiens d’Orient contribue à l’ancrage des communautés chrétiennes sur leurs terres en favorisant des créations d’emplois et d’entreprises, véritables vecteurs de coopération et d’entraide.
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Par ailleurs, on peut s’interroger sur la ligne directrice de l’Europe par rapport à la place des entreprises dans les conflits extérieurs : des poids et des mesures ! Le fait par exemple de faire entrer dans les conflits des évènements sportifs, artistiques ou autres relèvent de dictats discutables sinon incompréhensibles ; tel pays dont le roi est un assassin présumé accueille sans qu’il y ait d’opposition sérieuse les jeux olympiques ou des matchs de foot. Notre indignation d’Occidentaux est à la carte. On hésite à interdire à certains sportifs de participer ou même à exclure des pays entiers, le faut-il ? En revanche on « pardonne » à des athlètes de signifier leur appartenance en refusant de chanter un hymne national (surtout s’il marque des buts !). On passe sur la condition des femmes dans certains pays avec une légèreté qui n’indigne pas comme elle le devrait nos féministes les plus extrémistes. Alors la question se pose réellement, les États doivent-ils jouer de leur autorité pour décider à la place des entreprises ? Ne devrait-il pas être de la décision du patron et de ses salariés de continuer ou non à travailler dans un pays en guerre si ce n’est pas le leur bien sûr, qui est directement engagé dans la guerre ? Ce patriotisme décrété n’est-il pas contre-productif ? N’est-ce pas se servir d’une entreprise comme d’une arme de guerre ? D’autant que la plupart du temps ce sont les populations civiles qui en souffrent des deux côtés. La guerre de l’énergie Européenne par exemple n’est-elle dangereuse et inutile ? On joue sinon avec le feu du moins avec les combustibles… Le prix à payer est encore difficile à évaluer même si rien de bon ne se profile, en particulier pour des entreprises qui n’ont rien à voir dans ces conflits et qui ne sont que des otages économiques ; l’avenir dira si le bilan de cette nouvelle arme de guerre est bon et si cela a évité le pire ?
Une autre façon diamétralement opposée de se servir des entreprises pour un expansionnisme apparemment pacifiste, est symptomatique dans le cas de l’immense projet de la nouvelle route de la soie. Les Chinois ont tracé tout un parcours consistant à établir une force de frappe économique qui est un véritable maillage. La route de la soie sera certainement utile pour augmenter le niveau de diffusion du yuan à l’échelle internationale et pour favoriser la croissance et le développement. Il est donc possible que l’un des premiers objectifs de ce plan ambitieux soit de favoriser une stabilité politique à travers la promotion du développement économique et des échanges commerciaux. Stabilité ou domination ? Une route de la soie qui est aussi le prétexte pour une toute puissance politique insinueuse dont les entreprises seront les otages. Bien que la route de la soie puisse être interprétée au moins sur le papier, comme un projet gagnant-gagnant, il y a clairement une forme de démonstration de la volonté de Pékin d’enterrer définitivement les problèmes avec certains voisins comme le Vietnam, la Malaisie ou l’Indonésie… une stratégie économique à visage coopératif et qui peut aussi être comprise comme un positionnement politique peu conciliant et laissant peu de places aux acteurs économiques. Cette double position crée inévitablement de l’ambiguïté et de la méfiance. Est-ce une autre forme de guerre que de construire des routes « nationales » partout dans le monde ? peut-être une forme d’arme de guerre à moyen et long terme : qu’en sera-t-il des entreprises en tant qu’entités en cas de conflits ?
Toutes ces questions se posent et on peut s’inquiéter que l’entreprise en tant que telle soit de plus en plus manipulée sans aucun égard pour ses statuts, son objet social et sans que l’entrepreneur et le chef d’entreprise ait quelque pouvoir que ce soit sur les décisions politiques.