Tout n’est pas clair comme de l’eau de roche chez Leni Riefenstahl, c’est le moins qu’on puisse dire. Un documentaire en salles retrace le singulier parcours de la cinéaste d’Hitler, mais se complait un peu trop à rappeler ses redoutables ambiguïtés – alors que son œuvre artistique mériterait aussi qu’on s’y intéresse.
Qui s’attendrait à un documentaire racontant de façon linéaire la très longue vie de Leni Riefenstahl, ou se risquant à une analyse critique de son esthétique cinématographique sera déçu. Il s’agit ici, globalement, de dresser d’elle le portrait à charge qu’on pouvait attendre, en 2024, d’un documentariste allemand. Portrait délibérément concocté, beaucoup moins sur la base de sa filmographie, qu’ à partir d’une double source : d’une part le fond personnel de l’artiste disparue en 2003 à l’âge de 101 ans, masse de documents considérable, aujourd’hui détenue par la Fondation du patrimoine culturel prussien ; d’autre part la quantité d’archives sonores et audiovisuelles dans lesquelles, dès l’après-guerre et jusque dans son très grand âge, Madame Riefenstahl opiniâtrement se défend contre les journalistes qui l’assaillent toujours des mêmes questions, revenant inlassablement sur ses compromissions avec le régime national-socialiste et ses hiérarques.
Éclairage neuf
Il est vrai que Leni Riefenstahl donne des verges pour se faire battre : coquette, véhémente, furibonde, à ses détracteurs elle renvoie systématiquement le même discours : oui, Hitler l’a fascinée immédiatement, non elle n’a jamais rien su des camps de concentration, non elle n’a jamais été antisémite et encore moins nazie, d’ailleurs elle n’a jamais adhéré au parti, oui la beauté du corps humain, force virile ressaisie par la caméra furent son unique préoccupation, depuis La victoire de la foi, Triomphe de la Volonté et Les Dieux du stade, commandes personnelles de Hitler, jusqu’à ses photos et ses films immortalisant la peuplade « sauvage » des Noubas, déjà en sursis dans les années 60… Si bien qu’on finit par tomber sous le charme de cette vieillarde alerte, blonde pour l’éternité, le visage outrancièrement fardé, inquiète de ce que l’objectif ne jette trop de clarté sur une ride, et qui prend la pose avant de se livrer à la torture de cette ultime interview filmée. Un dernier maquillage ?
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Il faut reconnaître à ce long métrage documentaire sous-titré, pour sa sortie en France, La lumière et les ombres, qu’il jette un éclairage neuf, non tant sur l’œuvre proprement dite de Leni Riefenstahl (celle-ci n’est nulle part envisagée ici sur le registre de son esthétique) que sur l’aura polémique dont cette figure incontournable du Septième art reste indéfiniment prisonnière. Certes, narcissique, égocentrique, aveugle à la tragédie et aux horreurs de son temps, cultivant la mauvaise foi avec une fausse candeur retorse, l’ex-danseuse, skieuse, gymnaste devenue cinéaste et égérie du IIIème Reich, puis photographe après-guerre, jette un doute légitime sur ses poses de pure créatrice apolitique, immolée à la cause sacrée de l’Art.
Et l’artiste ?
Mais Riefenstahl n’a tué personne. Ambitieuse, héroïque, courageusement indépendante de la gent masculine bien avant l’époque du féminisme revanchard, elle mérite sans doute mieux que l’opprobre de principe où la tient, en 2024, une certaine bien-pensance. Tout n’est pas clair comme de l’eau de roche chez cette femme, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais quel exégète prendra le risque, enfin, de la peindre comme ce qu’elle fut avant tout, avec ses redoutables ambiguïtés : une artiste ? Dont on peut déceler les ombres, sans pour autant la priver de toute lumière. Le documentaire sur son œuvre reste à faire.
Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres. Documentaire d’Andres Veiel. Durée : 1h55
En salles le 27 novembre 2024