C’est une tête d’ange, perdue entre enfance et maturité. Il enfile une chemise à carreaux avec l’aide d’une femme qui pourrait être sa mère. « Ça va aller, » le rassure-t-elle. Après deux ans de détention dans un centre fermé pour mineurs en Suède, John, assassin de sa petite amie, va sortir – nous n’emploierons pas ici le mot « libéré ». Le tout jeune homme retrouve alors son père, Martin, et son petit frère Filip dans leur exploitation agricole.
John entend reprendre ses études dans son lycée – celui où, deux ans plus tôt et dans un accès de fureur incontrôlée, il avait tué une des élèves. La proviseure (une actrice épatante, Inger Nilsson) tente, avec bienveillance et bon sens, de l’en dissuader. Pareil retour du jeune criminel déchaîne effectivement les passions : celle de la mère de la victime qui le croise dans un supermarché et l’agresse, celles d’autres condisciples qui s’inventent une mission de justiciers. La violence va crescendo, jusqu’à la scène finale où la mère de la victime hurle au jeune-homme de s’en aller, ce que tout le monde ou presque lui suggérait déjà.
Il est toujours difficile d’aborder le crime sous l’angle de l’humanité de son auteur. On se souvient ainsi de la levée de boucliers qu’avait entraînée la sortie du film de Cédric Kahn, Roberto Succo en 2001 : bien que ce dernier mît en scène la folie du jeune italien qui sema la mort en France dans les années 80, nombreux furent ceux qui condamnèrent le film sans l’avoir jamais vu. Ni le propos du film (pourtant tout à la gloire de la gendarmerie), ni la bonne volonté explicative de Cédric Kahn ne vinrent à bout d’un refus viscéral qu’on évoquât Succo en termes humains, dangereusement humains.
Le tout jeune criminel, le mineur, l’enfant meurtrier échappe en partie à ce tabou : il pourrait être notre petit frère, notre neveu ; sa dimension meurtrière n’épuise ni sa vulnérabilité, ni son potentiel de bonté. Dans Le lendemain, le réalisateur, Gustav von Hort, en rajoute : il donne à son personnage les traits d’Ulrik Munther, blondinet à la virilité incertaine, enfant à peine monté en graine, doux et gracieux. L’environnement familial est également rassurant : un père paysan (incarné par un Mats Blomgren au visage plus que jamais fermé), volontiers normatif et cadrant. On dîne à l’heure, on boit du lait à table. À peine sorti du centre fermé, John aide son père aux travaux des champs. Les adultes qui entourent les jeunes se réfèrent à la loi. La mère est absente du foyer familial, suggérant une blessure affective chez le jeune homme. Enfin, le crime lui-même, jamais représenté, est évoqué lors d’un dialogue comme un acte quasi-inconscient, dont l’adolescent n’a aucun souvenir, réalisé dans un état proche du somnambulisme. Pour le spectateur, la charge répulsive du crime est ainsi totalement désamorcée, faisant place nette à une autre émotion : celle que suscite la violence vengeresse du groupe dont est victime ce garçon, pourtant depuis longtemps inoffensif.
Ici se trouve le premier propos du film : la loi ne réprime pas seulement le crime, elle a en charge de contenir la violence du groupe afin qu’il ne se transforme pas en horde primitive. Ceux que la justice a punis, la loi les protège. À l’heure où un certain goût du lynchage public pointe à nouveau son nez dans l’espace social – on pense notamment aux dénonciations de voisinage, sur Internet ou dans la presse, notamment lors de libérations anticipées et qui se traduisent ici ou là par des intimidations physiques – pareil rappel au devoir de civilisation n’est pas antipathique. A fortiori dans un film bien réalisé (belle photographie, acteurs justes, intrigue bien menée). On peut entendre, selon l’expression courante, que c’est probablement là « ce que l’auteur a voulu dire ».
Mais est-ce tout à fait ce qu’il a montré ?
Si l’on veut bien admettre que toute œuvre n’existe qu’en relation, plus ou moins conscientes, avec celles qui l’ont précédée, on sera frappé par la symétrie quasi parfaite que ce scénario entretient avec un autre film : Le fils, des frères Dardenne (2002).
Dans ce dernier film, comme dans Le lendemain, on assiste à la confrontation d’un jeune criminel récemment libéré et de l’un des parents de sa victime. Dans les deux films, la fin est claire, non ambiguë, mais elliptique et brutale. En revanche, le chemin parcouru par les personnages, tout comme la position du spectateur sont inverses. Dans Le fils, nous sommes du côté du père, de sa souffrance ; le jeune criminel se fait d’abord discret, taciturne, « tout petit » avant de réclamer, dans une scène finale bouleversante, sa réintégration (« J’ai payé… », hurle-t-il, dans un accès de désespoir). Dans Le lendemain, John commence au contraire par vouloir reprendre une vie normale (que le spectateur espère avec lui, même s’il en pressent l’absurdité et l’ambiguïté masochiste) avant de réaliser que cette attitude n’est pas soutenable – voire suicidaire. Dans Le fils, l’adolescent apprend à réclamer un droit au pardon et se défait pour partie de sa culpabilité. Dans Le lendemain, John perçoit au contraire toute la portée réelle de ses actes et leurs conséquences incontournables. Dans Le fils, on assiste à une étrange rédemption : celle du père de la victime qui sort de l’enfermement où l’a placé son chagrin, par le pardon chrétien « à ceux qui l’ont offensé ». Dans Le lendemain, c’est le jeune criminel qui va d’une forme d’inconscience (mêlée de culpabilité diffuse) à ce premier pardon que l’on se fait à soi-même en assumant les conséquences irréparables de ses actes, et donc le non-pardon, probable, de l’autre. Miracle d’un côté, réel têtu de l’autre.
La morale de Le lendemain est évidemment plus cruelle que celle de Le fils. Le film des frères Dardenne est tout entier illuminé par le pardon chrétien. Le lendemain est-il pour autant sans espoir ? Pas sûr. C’est en assumant sa jeunesse, voire son enfance, le caractère indépassable des faits commis et leurs conséquences concrètes – il devra partir – que le jeune John accède à la conscience de sa propre responsabilité. Cette fois, on le pressent, il sera bel et bien libéré.
Le lendemain, de Magnus von Horn. En salle.
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