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L’Élysée, machine à perdre ?


L’Élysée, machine à perdre ?
Paul Deschanel.
Paul Deschanel
Paul Deschanel.

On savait que déjà depuis les Grecs que l’exercice du pouvoir peut provoquer l’hubris, une démesure proche de la folie qui peut mener ceux qui en sont atteints au bord de l’abîme, et même au-delà.

On constate aujourd’hui, en observant le comportement de notre président de la République, qu’un autre danger menace les détenteurs de la charge suprême : devenir stupide, pour rester poli.

On s’était déjà interrogé, au moment du procès Clearstream, sur ce qui avait poussé Nicolas Sarkozy à tenter d’obtenir la mise à mort judiciaire d’un ex rival déjà politiquement terrassé.

Le plaisir de voir son pire ennemi pendu à un symbolique croc de boucher est éphémère et ne rapporte pas gros en terme d’estime de la part de ses concitoyens : la vengeance fait partie des passions tristes définies par Spinoza. Elle ne vous grandit pas aux yeux des autres, alors que la clémence appliquée avec discernement peut vous élever au dessus du commun des mortels et renvoyer au néant ceux qui ont cherché, sans succès, à vous détruire par de vils stratagèmes. On a pu voir le résultat de cette obstination procédurière : un Villepin relaxé par le tribunal et politiquement requinqué, susceptible de faire trébucher Nicolas Sarkozy en 2012 en le privant, au premier tour, de voix de droite bien nécessaires en ces temps troublés et incertains.

Le traitement de « l’affaire des rumeurs » par l’Élysée est un nouvel élément venant conforter la théorie du pouvoir-qui-rend-con (foin de précautions oratoires, car à ce niveau de cafouillage, un adjectif plus policé ne correspondrait pas à la gravité de la situation).

Un jeune crétin qui gagne péniblement son bifteck en bloguant pour un sous-traitant du Journal du Dimanche trouve subtil de balancer sur le site de ce journal la rumeur qui traîne dans tous les dîners en villes de la capitale sur de supposées infidélités conjugales réciproques du couple présidentiel avec des personnalités connues du show biz et de la politique. La rumeur fait le tour de la planète, et reçoit l’onction de journaux réputés sérieux dans les principaux pays européens. La presse française s’écrase, mais ne peut rien contre le buzz parti sur le web comme une fusée.

De l’Élysée, on n’entendra rien pendant plusieurs semaines, à l’exception d’une phrase de Nicolas Sarkozy en réponse à une question d’un journaliste-morpion anglais lors d’une conférence de presse commune, à Londres, avec Gordon Brown. « Je n’ai pas une seconde, même une demi-seconde, à perdre avec ces élucubrations », avait-il alors déclaré. C’était le 12 mars 2010, et il eût été sage de s’en tenir là : quelle que soit la réalité de la relation conjugale qu’il entretient avec son épouse, il est parfaitement en droit de refuser de faire état publiquement de sa vie privée dans l’exercice de ses fonctions politiques. Mais en même temps que le président de la République prononçait ces définitives paroles, on s’activait dans l’ombre, en son nom, pour découvrir qui pouvait bien être à l’origine de ces rumeurs. Le premier à être mis sous la pression élyséenne, par l’intermédiaire de son grand patron Lagardère, fut Olivier Jay, directeur de la rédaction du JDD. S’il existe, dans notre profession, quelqu’un de moins préparé à ce genre d’embrouilles, c’est bien Olivier Jay, que j’ai connu jadis comme responsable du service de presse de l’archevêché de Paris au temps de Mgr Lustiger. Le pauvre a dû passer une semaine sainte plutôt morose. Le jeune crétin est viré, son chef direct démissionne, mais cela ne suffit pas pour calmer l’ire élyséenne. On invite avec une certaine fermeté la direction du JDD à porter plainte contre X pour introduction frauduleuse d’informations sur le site web du journal, ce qui semble en l’occurrence juridiquement hasardeux. Auparavant, le directeur de la police nationale, Frédéric Péchenard, avait demandé à Bernard Squarcini, directeur de la DCRI, le contre-espionnage français issu de la fusion de la DST et des RG, de mener une enquête sur l’origine de ces rumeurs. Comme les deux super-flics entretiennent des relations très étroites avec Nicolas Sarkozy (Frédéric Péchenard est même un ami d’enfance de ce dernier), il n’est pas pensable un quart de seconde que cette initiative ait été prise sans, au moins, le consentement du président.

La veille des fêtes pascales, l’Élysée ouvre la boite à gifles, en off et en on. Pierre Charon, intime du président lance la « théorie du complot ». La « firme », comme se désignent eux-mêmes les inconditionnels de la garde rapprochée de Sarkozy (Pierre Charon, Frank Louvrier, Brice Hortefeux et quelques autres), laisse entendre que Rachida Dati ne serait pas étrangère à la diffusion de la rumeur.

Résultat : la presse française, qui jusque-là s’était efforcée de rester dans les limites de la tradition nationale en matière de traitement de la vie privée des personnages publics se sent déliée de tout devoir de discrétion. De crapoteuse, l’affaire devient po-li-ti-que, donc on fonce !

Pour essayer d’éteindre l’incendie, on envoie, mercredi 7 janvier Carla Bruni répondre aux questions de l’employé de Lagardère, Claude Askolovitch sur Europe 1, radio propriété de ce même Lagardère.

En substance, la first lady (ou prima donna, mais là ça le fait pas question voix) déclare qu’elle et son mari ont toujours traité ces rumeurs par le mépris, que c’est bien embêtant, mais qu’il faut bien vivre avec, que Rachida Dati reste leur amie, et que jamais il n’y a eu d’enquête policière sur cette affaire avant la plainte déposée par le JDD. Moyennant quoi, la belle Carla passe soit pour une menteuse, soit pour une conne : Squarcini confirme à tous les médias qui veulent bien l’entendre que, début mars, ses limiers de la DCRI ont bien enquêté sur l’origine des rumeurs apparues sur le site du JDD. On en est là. Question à un million d’euros : comment aurait-on pu gérer plus mal une affaire qui n’est ni la première, ni la dernière de ce genre à se développer dans les arrières-boutiques putrides des officines plus ou moins proches des lieux où s’exerce la puissance ? La réponse est peut-être à trouver dans l’immortel ouvrage de science politique rédigé il y a trente ans par Michel-Antoine Burnier et le regretté Frédéric Bon intitulé Que le meilleur perde !. Les auteurs développent de manière brillante que l’objectif des hommes politiques n’est pas de gagner les élections mais de les perdre. Ils déploient pour ce faire une énergie immense, qui n’est hélas, pas toujours couronnée de succès. Il leur arrive parfois d’être élu. Mais on ne les y reprendra plus.

NB : Paul Deschanel (1855-1922) occupa brièvement la fonction de président de la République du 18 février au 21 septembre 1920. Sa démission fut provoquée par un accident ferroviaire hors du commun : il était tombé du wagon-lit où il passait la nuit, et fut retrouvé errant hébété sur la voie par un employé des chemins de fer. La presse et la vox populi le firent passer pour fou, ce qui rendit impossible son maintien à l’Élysée. Néanmoins, l’un de ses biographes affirme que « Deschanel n’est visiblement pas le président fou que l’on croit. Si on détecte chez lui un désir de fuite dans le travail, une occupation effrénée, une angoisse de déplaire, ces éléments sont tous d’ordre névrotique mais ne peuvent être considérés comme maniaques. Il aspira longtemps à une carrière artistique (écrivain et comédien) et ses discours, tous fameux, trahissent un besoin de séduction et une inclination nette au théâtralisme, voire à l’histrionisme (attitude caractérisée par le besoin d’attirer l’attention sur soi et de séduire l’entourage) ». Toute ressemblance avec (…) ne serait que pure coïncidence.



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