Autant l’avouer tout de suite, je suis catholique. Je sais que c’est grave, mais j’assume. Courageusement. Autant vous l’avouer aussi, au risque de vous surprendre, je ne suis pas pédophile. Normal, me répondrez-vous, vous n’êtes pas prêtre. En effet.
D’ailleurs au risque de vous surprendre encore un peu plus, je n’ai jamais eu, enfant, affaire à un curé pédophile et Dieu sait (Dieu merci, d’ailleurs, comme dirait mon pote Lecœur de Direct 8) que j’en aurai vu, des curés. Jusqu’ici, je suis sûr que vous vous dites que ce papier n’est pas très intéressant. Alors, venons-en aux faits, puisqu’on n’a pas que ça à foutre, surtout sur internet, y a aussi morandini.com à regarder, Eric Zemmour à écouter et le mur de Facebook à rafraîchir.
On nous délivre en cascade depuis quelques jours, en une cascade à tel point ininterrompue qu’on se demande forcément qui en a ouvert les vannes, des « révélations » sur des cas, innombrables semble-t-il, de pédophilie presbytérienne. Les agissements passés de ces curés sont abominables et moi, qui suis catholique, j’ai honte. J’ai vraiment honte, contrairement à divers commentateurs qui, même en prenant un air grave et en baissant pudiquement les yeux, arrivent de plus en plus mal à dissimuler leur joie maligne de voir tomber dans la fange ordinaire d’un mal qui est ici tout sauf banal des hommes consacrés à Dieu lesquels, prêchant une morale horripilante toute la journée, se révèlent en réalité comme les pires pourceaux.
Entendons-nous bien. J’ai honte de ces prêtres, pas de l’Eglise catholique. Ce qui est bien dans l’Eglise, disait mon Bernanos favori, c’est qu’on est entre pécheurs. En l’occurrence, comme des millions, des centaines de millions d’autres catholiques, je me serais volontiers passé de cette cohabitation. Je me serais surtout volontiers passé de l’existence des pédophiles en général, qu’ils soient curetons ou libertins de confession, ou encore personne. Mais je n’ai pas honte de mon Eglise, de l’Eglise tout court, car, comme disait ailleurs le même Bernanos sans craindre l’apparence du paradoxe, « notre Eglise est l’Eglise des saints ». Et en ce moment même, j’en vois bien un de ces saints qui, surexposé, est l’objet destinal de toutes ces révélations : le petit homme en blanc, parce qu’il a entrepris tel un autre Christ de nettoyer les écuries d’Augias, de crever l’abcès, de faire le ménage, est chargé du poids de tous les péchés du monde. Nul doute qu’il s’y soit soumis en connaissance de cause. Mais peu importe à l’opinion publique le courage du Pape. Ce n’est pas cela qu’elle veut.
Le travail qui devrait nous faire frémir si nous n’y étions déjà habitués depuis des décennies, c’est celui qu’accomplissent les journalistes des quatre coins du monde, qui se sont ligués comme un seul homme contre un seul homme pour enfin faire venir au jour la vérité. Il y a un paradoxe profond dans notre époque, une faille qui clive son être : alors qu’elle fait profession de religion scientifique, qu’elle a pris définitivement le costume du technicien à qui on ne la fait pas, de l’expert surdoué en toutes matières, elle fait aussi bien abstraction des chiffres qu’elle idolâtrait la minute d’avant quand ils ont le mauvais goût de la contredire. On vient de le voir avec l’étrange affaire Zemmour à qui personne n’a su opposer le moindre chiffre qui invalidât sa phrase. Que celle-ci ait été opportune, je ne le crois pas, mais c’est une autre affaire.
On le voit aussi avec l’affaire de la pédophilie des prêtres. De deux choses l’une : soit on pense que ce sont des êtres intrinsèquement pervers et qu’il faut interdire formellement leur ministère, comme on ferait de la première secte venue ou, à tout le moins, les débarrasser de gré ou de force d’un célibat qui aurait fait d’eux ces monstres ; soit l’on est choqué que des hommes consacrés à la charité, au Bien sous toutes ses formes, aient pu fauter, et l’on rend ainsi témoignage à la foi qui les meut habituellement. Ce n’est certainement pas cette deuxième option qui prévaut dans l’orchestre des faiseurs de scoops actuels.
Il leur faut donc démontrer que le catholicisme ou le célibat de ses prêtres engendrerait les tendances ou les actes pédophiles. Et là, ils vont avoir du fil à retordre. Redonnons encore une fois des chiffres qui trainent un peu partout, mais qu’on n’aura pas de raison de cesser de répéter tant qu’ils n’auront pas vraiment été lus : d’une part, selon le ministère français de la Justice, 90% des affaires recensées de pédophilie concernent des hommes mariés. D’autre part, selon les données annoncées Mgr Charles J. Scicluna, ministère public du tribunal de la Congrégation pour la doctrine de la foi à Avvenire, de 2001 à 2010, il y a eu environ 3.000 accusations regardant des prêtres diocésains ou religieux pour des crimes commis ces 50 dernières années, dont seulement, si l’on ose dire, 10 % peuvent être qualifiées véritablement en pédophilie. On arrive donc à 300 prêtres sur 400.000 dans le monde. On peut bien entendu supposer que de nombreux cas n’auront pas été portés à la connaissance des autorités, mais cela reste de l’ordre de l’hypothèse. Mais surtout, last but not least, Philip Jenkins, qui est le spécialiste américain du sujet (et qui n’est pas catholique) après avoir enquêté pendant 20 ans sur le lien possible entre pédophilie et célibat consacré, arrive au chiffre précis pour le diocèse de Chicago d’1,8 % de prêtres coupables de faute sur mineur, dont un seul sur 2200 était véritablement pédophile. Il y ajoutait cette déclaration déterminante : « Mes travaux sur des cas au cours des 20 dernières années n’indiquent aucune preuve quelle qu’elle soit que les catholiques ou les autres clercs célibataires soient plus susceptibles d’être impliqués dans l’inconduite ou de mauvais traitements que les ministres de toute autre confession – ou même, que les non-clercs[1. Le 3 mars 2002 dans la Pittsburgh Post Gazette]. »
On pourra en outre consulter une étude britannique, qui rapporte que sur 60 cas d’abus par des ministres du culte, toutes confessions confondues, 25 sont le fait de prêtres catholiques, 35 de protestants et d’anglicans (mariés) ; que selon les chiffres du Guardian, la proportion de pédophiles dans l’Eglise est rigoureusement la même que dans les autres milieux ; que, toujours selon Jenkins, cité par le journaliste italien Massimo Introvigne, « si l’on compare l’Eglise catholique des Etats-Unis aux différentes « dénominations » protestantes, on découvre que la présence de pédophiles est – selon les dénominations – de deux à dix fois plus élevée parmi les membres du clergé protestant que chez les prêtres catholiques. » ; et enfin, toujours d’après Introvigne, que « dans le même temps où une centaine de prêtres américains étaient condamnés pour abus sexuel sur des enfants, le nombre de professeurs d’éducation physique et d’entraîneurs d’équipes sportives – eux aussi en grande majorité mariés – reconnus coupables du même crime par les tribunaux américains avoisinait les 6000. »
Je suis bien d’accord avec vous, les journalistes, ce ne sont que des chiffres qui ne soignent pas du tout les victimes des abus de religieux pervertis. Qui au contraire, auraient plutôt tendance à les assommer un peu plus s’il était possible. Mais qu’au moins, devant ces chiffres, l’on cesse enfin de nous bassiner avec la question du célibat catholique latin. Une bonne fois.
De toute façon, ne me prenez pas pour un imbécile : je ne vous prends pas pour des imbéciles non plus et je sais très bien que vous ne voulez qu’une chose, atteindre cette pauvre Eglise dans son cœur. Et comme vous êtes des malins, vous savez que son cœur est à Rome et que c’est surtout un petit Allemand à tête de gros chat qui le fait battre (d’un point de vue humain, s’entend). Tant qu’il n’aura pas été roulé dans la boue, vous ne serez pas satisfaits.
Avouez, avouez au moins que vous aurez tout essayé, avec une persévérance qui vous honore : ses origines teutonnes, son passage forcé à la Hitlerjugend, son retour en arrière laissant présager des avant-hier qui chantent en latin, Pie XII et les Juifs, la capote et les Africains, la gamine brésilienne violée et avortée. Maintenant, les pédophiles. Ce qui vous emmerde bien, c’est qu’il n’ait jamais, lui, au grand jamais, caressé le moindre enfant : alors vous avez tenté de l’avoir par son frère, antique bonhomme tout ce qu’il y a de plus pur, vous avez fait donner la cavalerie aux gros sabots d’Hans Küng, le rival mimétique malheureux, vous avez fait dire aux Irlandais qu’il ne leur demandait pas assez pardon dans sa lettre ; et maintenant, vous ressortez l’histoire d’un curé américain ayant sévi il y a 35 ans et mort depuis. C’est un peu comme si l’on accusait tout Hollywood et tout le CNC français d’avoir couvert Polanski. Comme si toute la gauche française, Libé en tête, devait payer pour les âneries de Cohn-Bendit des années 1970.
En fait, vous me faites bien rigoler, même si je ne devrais pas dans la situation actuelle. Moi, j’ai mal. Mes curés me font mal. Vous, vous instrumentalisez des histoires sordides pour avoir la tête d’un octogénaire qui persiste à ne pas penser comme vous. Vous êtes sûrs de perdre devant la morale de l’Histoire, mais vous continuez. Pauvres de vous.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !