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Législatives: la démission des ministres battus n’a pas de sens


Législatives: la démission des ministres battus n’a pas de sens
Christophe Castaner et Richard Ferrand font partie des ministres dont le poste est mis en danger par les législatives. SIPA. 00810145_000016 / 00810145_000012
Christophe Castaner et Richard Ferrand font partie des ministres dont le poste est mis en danger par les législatives. SIPA. 00810145_000016 / 00810145_000012

Puisqu’il se pique de rénover la vie politique française, Emmanuel Macron aurait été bien inspiré de rompre avec une règle qui ne satisfait qu’en apparence aux exigences démocratiques et ne répond en fait à aucune logique : celle qui consiste, pour un ministre battu aux législatives, à démissionner. Or, non seulement il n’a rien décidé de tel, mais il a aggravé cette contrainte au nom d’une prétendue « tradition », dont il est facile de démontrer qu’elle n’a jamais existé.

Une victime en 10 ans

Au demeurant, dix années suffiraient-elles à ancrer une tradition ? Elle ne saurait en effet remonter au-delà de la présidence Sarkozy, et à ce compte a fait en tout et pour tout une seule victime : Alain Juppé, défait le 17 juin 2007 dans la deuxième circonscription de la Gironde par la socialiste Michèle Delaunay, et pour cette raison éjecté du gouvernement Fillon dont il aura été l’éphémère numéro deux avec le titre de ministre d’État, ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables. C’est bien mince pour une tradition, mais ne s’agit-il pas là au moins d’une règle de bon sens ? Incapable de s’imposer localement, devant ses propres électeurs, est-on digne d’incarner l’exécutif ? La République ne veut pas de « losers » !

Un tel principe ne vaudrait à l’extrême rigueur que pour le candidat sortant, désavoué par ceux qui, ayant été à même de le juger, lui signifient que son bilan est négatif. Cas de figure assez théorique en fait, qui fait fi de toutes les considérations locales, les coups tordus, dissidences et aléas de campagne toujours possibles. Mais enfin, admettons, et rangeons le seul cas existant dans cette catégorie puisque Alain Juppé, s’il n’était pas formellement le sortant (ses ennuis judiciaires l’avaient contraint d’abandonner son mandat de député en 2004), était bien l’homme fort de la circonscription, élu à deux reprises en 1997 et 2002. Encore faut-il noter que la punition fut assez vite levée puisque le banni revint dès 2010 dans le gouvernement Fillon comme ministre de la Défense, puis des Affaires étrangères, avec à chaque fois le rang de ministre d’État.

« Votez pour moi, vous ne me verrez plus! »

Emmanuel Macron place aujourd’hui la barre plus haut en exigeant le départ de tous ses ministres battus, qu’ils soient sortants ou non. La menace, on le sait, pèse sur six membres du gouvernement : non seulement les élus de 2012 Richard Ferrand, Bruno Le Maire, Christophe Castaner et Annick Girardin, mais aussi Marielle de Sarnez, candidate dans une circonscription qui l’avait sèchement éliminée dès le premier tour en 2007, et Mounir Mahjoubi, pur produit de la « société civile ». Que signifie pour ces derniers l’obligation de conquérir un siège ? Le message envoyé aux électeurs est hélas clair : « Votez pour moi et je ne vous représenterai pas ! Accordez-moi ce mandat car c’est la condition pour que j’en exerce un autre ! » En matière de logique, et même de morale politique, on peut rêver mieux.


Législatives : les ministres vaincus devront démissionner

Impossible en tout cas de déceler ici la moindre trace de « tradition », non plus que du fameux et fumeux « esprit des institutions » que certains observateurs ont cru pouvoir discerner. Esprit, es-tu là ? Assurément non, et trois exemples plus ou moins mémorables attestent au contraire que, si tradition il y a, elle va exactement en sens inverse.

Trois contre-exemples

Le premier remonte à 1967. Le général De Gaulle charge son ministre des Affaires étrangères, le fidèle Couve de Murville, d’aller défier dans le VIIe arrondissement de Paris le presque indéboulonnable Édouard Frédéric-Dupont, élu (à contre-courant) en 1936, battu pour la première fois en 1962 pour cause de dissidence sur le dossier algérien, et qui tente de reconquérir son siège. Auteur en 1946 d’une loi abolissant les cordons des portes cochères, et pour cette raison surnommé « le député des concierges », ou encore « Dupont des loges », il mène une de ces campagnes de terrain dont il avait le génie et vient facilement à bout du rigide Couve de Murville. Que De Gaulle, confirme non seulement dans ses fonctions, mais nommera Premier ministre l’année suivante.

En 1978, Alice Saunier-Séité, ministre des Universités du gouvernement Raymond Barre, tente un parachutage en Moselle sous l’étiquette UDF et y connaît un échec cuisant, éliminée dès le premier tour à la fois par le candidat RPR et par le socialiste. Là encore, Giscard lui conservera son maroquin jusqu’au bout. On dira que des raisons inavouables ont pu influencer son choix puisque dix ans plus tard l’ancien président confiera non sans naïveté dans ses mémoires avoir un jour, lors d’un meeting dont elle assurait la première partie, laissé sa rêverie vagabonder : « Son corps est musclé, avec des mouvements d’une aisance féline, et des jambes qui me paraissent bronzées. Une pensée bizarre me traverse l’esprit : quand elle faisait l’amour, elle devait y mettre la même véhémence. » Louable franchise, diront certains ; maladroit contre-feu, susurreront d’autres, pour faire taire la rumeur qui lui prêtait une connaissance moins hypothétique de la question.

Instabilité gouvernementale

En juin 1988 enfin, Bernard Kouchner, secrétaire d’État chargé de l’Insertion sociale dans le premier gouvernement Rocard, mord lui aussi la poussière lors d’un parachutage catastrophique dans le Nord avec l’étiquette socialiste. Largement distancé au premier tour par le communiste Alain Bocquet, il tente, macroniste avant la lettre, de se maintenir en ralliant des centristes, mais, sommé d’obéir à la « discipline républicaine », finit par se retirer. Il conserve néanmoins son poste, le Premier ministre invoquant – point capital – le fait qu’il n’était pas sortant, au contraire de Georgina Dufoix et Catherine Trautmann, qui, elles, doivent quitter le gouvernement.

Distinction de bon sens, qui paraît aujourd’hui oubliée. Car la doctrine Macron, si c’en est une, méconnaît qu’un ministre efficace se condamne par définition à moins arpenter sa circonscription ou, plus lourd de conséquences, celle qu’il convoite. On ne pleurera peut-être pas sur le cas d’éventuelles météores ayant connu un sort défavorable ; on déplorera seulement qu’une prétendue tradition introduise un peu d’instabilité gouvernementale et encourage les ministres, au mieux à se tenir cois, au pire à se laisser tenter par les vieilles ficelles du métier : négocier avec les appareils une circonscription en or et promettre de l’arroser.

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