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Législatives: la charte des godillots

De futurs députés "exemplaires" et surtout bien dociles...


Législatives: la charte des godillots
La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

Céline Pina voit dans la charte d’engagement signée par les candidats investis par la majorité un recul démocratique. Analyse.


Ils ne sont pas encore élus que déjà ils suscitent la méfiance des dirigeants de leur parti et du président de la République. « Ils », ce sont les futurs députés qui formeront le groupe de la majorité présidentielle au Parlement. Et le moins que l’on puisse dire est que leur désignation participe plus du rituel de l’adoubement féodal que de la saine compréhension du rôle d’un représentant élu.

Une charte fait particulièrement gloser, celle d’Ensemble, la fédération des admirateurs d’Emmanuel Macron dont la coalition se cristallise autour de la reconnaissance du pouvoir d’un homme et dont la constitution ressemble plus à celle d’un fan-club qu’à un front politique. Faute de projet rassembleur, de programme précis et d’accord de gouvernement négocié qui pourraient unir l’ambition des hommes autour d’une certaine idée de la France et de son devenir, la coalition présidentielle en revient aux traditionnels liens de vassalité. Faute de vision commune, il faut bien se choisir un maitre. Voilà pourquoi fleurissent les chartes où il s’agit de mettre en musique et en scène l’allégeance à un homme, puisque l’on ne partage pas grand-chose en termes de principes et d’idéaux. Ainsi l’investiture devient l’alpha et l’oméga de la légitimité du parlementaire, l’élection est quant à elle vidée de son sens, elle valide ou invalide le choix du chef mais n’est plus un acte mystérieux et transcendant qui transforme un individu en représentant de tout un territoire ou d’un idéal plus grand que lui. La fidélité au suzerain est ici plus importante que le devoir envers ceux que l’on est censé représenter. La quête de l’intérêt général est remplacée par le service des désirs et volontés du président.

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Des engagements moraux vains

La charte est très claire sur ce point : « Les candidats soutiendront Emmanuel Macron au quotidien (…) et s’engagent tant à propager sa méthode qu’à l’encourager lors des votes ». C’est ainsi que l’on réduit de façon très claire les députés à une fonction de godillot, à une simple courroie de transmission de l’exécutif. C’est ainsi que la coalition présidentielle recycle l’arme fatale de son chef suprême, le « en même temps ». C’est ainsi qu’il est également indiqué dans ladite charte, que « les candidats s’engagent à ne pas être le candidat d’un camp politique, mais à représenter l’ensemble des citoyens de leur circonscription », ce qui ne mange pas de pain en terme d’affichage et fait joli dans le discours, mais peut s’avérer totalement contradictoire avec l’obligation de soutenir le président quoi qu’il en coûte. Deuxième souci, pour être candidat d’un camp politique, il faut déjà un corpus d’idées qui serve de contrat moral entre l’électeur et son représentant, la fidélité au président étant le degré zéro de l’engagement envers l’électeur. Représenter un camp est déjà un horizon inaccessible pour nombre de députés car ni eux ni leurs électeurs ne savent à quoi leurs étiquettes est censée les engager. Mais la difficulté se corse lorsqu’il s’agit de représenter l’ensemble des citoyens, pour cela, encore faut-il être conscient du cadre politico-juridique qui définit notre contrat social. Ce qui est compliqué dans un monde politique qui croit que l’Etat est neutre et a oublié qu’il n’est légitime à agir et à légiférer que parce que l’idéal démocratique et républicain s’incarne dans des principes fermes qui sont tout sauf neutres. Prenons par exemple la notion d’égalité en droit, elle est fondatrice de notre culture politique. Eh bien cette notion ne cesse d’être attaquée et le voile, symbole de l’infériorité et de l’impureté des femmes est revendiqué comme une liberté par l’islam politique, sans que nos élus n’arrivent à lutter clairement contre l’imposition d’un signe sexiste dans notre espace public. Le discours sur la neutralité de l’Etat a fait oublier à trop d’élus que cette neutralité n’a jamais existé et que toute légitimité se fonde sur un corpus de représentations, de principes et de lois qui sont des affirmations civilisationnelles. L’État peut choisir de rester indifférent à certaines choses, mais en soi il n’est jamais neutre, le pouvoir est toujours à la fois fondé et limité, comme la loi est toujours la traduction dans le concret de principes abstraits.

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Ces chartes ridicules, que de plus en plus de partis imposent à leurs candidats, n’ont aucune valeur légale et dans les faits ne peuvent guère imposer grand-chose. Ce sont des engagements moraux qui paradoxalement nient les devoirs démocratiques. Elles jouent sur une dynamique de la honte où la valeur suprême n’est pas ce que l’on doit à ceux que l’on est censé représenter, mais la loyauté au chef du groupe auquel on appartient. Que l’on place la loyauté au-dessus du devoir de représentation en dit beaucoup sur l’esprit du temps, sur le renforcement de la conception féodale de la politique comme sur l’inexpérience de candidats que la faveur du puissant du moment dote d’un avenir qu’ils n’ont pas construit eux-mêmes dans l’enracinement local.

Edouard Philippe, ancien Premier ministre (Horizons), Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale (LREM), François Bayrou, Haut-commissaire au plan (Modem) et Stanislas Guerini, député (LREM). Conférence de presse au QG de la majorité présidentielle, 5 mai 2022, Paris. © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Nous sommes entrés dans l’ère des mouvements politiques gazeux

En effet pour pouvoir faire bouger les lignes dans un combat politique, mieux vaut certes disposer de troupes capables de s’organiser et d’agir ensemble et dont la majeure partie de l’activité ne se concentre pas sur l’épuration interne et la contestation des ordres. Mais avant, pour y parvenir, on comptait d’abord sur l’existence d’une conscience commune, une formation aux exigences de l’action politique, un travail d’appropriation des fondamentaux de la République et le partage d’idéaux communs dans la vision du chemin à tracer pour la France et les Français. C’était au nom d’une certaine conception de la politique que les ambitions personnelles se canalisaient et on pouvait résoudre certains conflits en en appelant au dépassement au nom des exigences de l’idéal. C’était au temps où les partis avaient quelque chose à dire au pays et les militants des messages à faire passer à leurs concitoyens. Au temps des mouvements gazeux, ne reste plus que le culte du chef et la logique du casting quand il s’agit de sélectionner les candidats. On ne cherche plus des personnalités originales, que leur talent ou leur travail ont consacré, mais des mannequins dont l’apparence est le principal message et le principal intérêt. Les partis ne sélectionnent plus des gens capables, compétents, méritants mais des véhicules de démonstration. Peu importe ainsi les qualités réelles d’un député ou d’un ministre, ce qui compte pour le poste de Premier ministre, c’est que le candidat soit par exemple une femme, ou ait telle couleur de peau plutôt que telle autre, ou affiche telle type de pratique sexuelle… Le personnel politique devient le véhicule de démonstration de la mode du moment, il se réduit à un outil de communication mais n’est plus pensé ni vu comme un homme d’action. Tous interchangeables, ils doivent témoigner de leur appartenance à un segment de la population pour être intéressant aux yeux des partis, on les choisit pour leur particularisme, pas pour leur capacité à dépasser ce qu’ils sont pour accoucher d’un monde commun, donner une direction au pays. Leur particularisme devenant leur identité, leur viatique et leur avenir, cela rend la plupart incapable d’accéder au commun et à l’universel.

Derrière leurs bons sentiments et l’exigence de loyauté à l’égard du chef qu’elles expriment, ces chartes racontent l’indigence de liens humains réduits à de simples jeux d’intérêts et non forgés dans un combat commun. Elles parlent d’une absence de perspectives et d’universalisme qui font que le conflit inhérent aux ambitions politiques ne peut être dépassé au nom des idées partagées et seulement réglé par l’autorité du chef. Elles disent clairement qu’il n’y a plus d’engagement pris vis-à-vis de l’électeur mais une soumission en premier lieu au groupe d’intérêts dont on est issu. En politique, la militante qui m’a formée m’avait dit une chose très juste que je n’ai jamais oublié : « si tu ne veux pas te tromper, réfléchis dans cet ordre : d’abord mon pays, ensuite la gauche, ensuite mon parti, ensuite mon courant… ».

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Faute de militants et d’élus structurés, capables de comprendre leur rôle dans une démocratie saine, ne reste plus que des chartes qui pourraient se résumer à « sois loyal à ton chef et à ton clan ». Cela témoigne à la fois de la faiblesse des liens qui unissent nos représentants et de la régression de la vision qu’ils ont de leur rôle de politiques. Ces chartes confortent une logique de chef de bande mais sont révélatrices du recul de notre idéal démocratique.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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