Dans la quatrième circonscription de la Manche, ancien fief de Bernard Cazeneuve, les socialistes rêvent de reconquérir leur ancien bastion, mais pourraient pâtir de l’accord Nupes. En cause: l’épineuse question de la sortie du nucléaire, filière qui fait pourtant vivre économiquement la circonscription…
Quoique reliée au continent par une petite bande de terre marécageuse et inondable [1], la circonscription de Cherbourg et du Cotentin est bien accrochée aux réalités françaises.
Son économie dépend entièrement de l’argent public, et semble ainsi un modèle français en miniature mais amplifié. Une circonscription caractérisée par un emploi public très développé donc, et ajoutons-le atomique: entre l’Arsenal où sont fabriqués les sous-marins, l’usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague ou la centrale EPR de Flamanville, elle est peut-être la plus nucléarisée de France. Française jusqu’au trognon de pomme normande dans son attachement à l’État et son approvisionnement énergétique, la quatrième circonscription le sera-t-elle dans les urnes ?
Sonia Krimi désavouée
En 2017, elle semblait avoir épousé religieusement la tendance nationale. Le second tour avait vu s’affronter deux Marcheurs face à face – un officiel et une dissidente, Sonia Krimi qui fut élue à la surprise générale. Depuis son élection, beaucoup d’eau a coulé dans les bassins de retenue d’une ville à la pluviométrie légendaire. La députée sortante a brouillé son image auprès des électeurs de la majorité.
Elle avait eu la dent dure avec le gouvernement sur l’immigration, et avait aussi enfilé un gilet jaune pendant les premières semaines de la crise… Une députée marcheuse disons atypique !
Avec ses 8% au second tour des municipales de Cherbourg-en-Cotentin en 2020 et le départ de nombreux élus et proches qui l’entouraient, le rejet de sa personne est perceptible.
Un socialisme hésitant à la Normande
Désormais unie, la gauche attend son heure, d’autant que la mairie de Cherbourg est depuis longtemps un bastion socialiste. L’élue municipale PS Anna Pic rêve de pôle position. Les Cherbourgeois avaient l’habitude de voter pour un rose très pâle dont André Siegfried notait déjà le caractère hésitant, à la normande. Un socialisme soluble dans la Nupes ? Jadis fief électoral de Bernard Cazeneuve, l’ancien Premier ministre a dénoncé l’accord avec Mélenchon et désavoué ses amis locaux – rejoint en cela par le sénateur PS de la Manche et ancien maire de Cherbourg Jean-Michel Houllegatte.
Pour le politologue et résident cherbourgeois, Christophe Boutin bien connu comme co-auteur des dictionnaires d’idées aux éditions du Cerf, ces départs ne seront pas déterminants : « Bernard Cazeneuve qui était la figure tutélaire du PS local a quitté le parti sur des questions de principe. Les comportements avaient déjà évolué depuis son départ de la mairie de Cherbourg et la gauche s’est un peu radicalisée. Chez les élus, on est passés de la vieille gauche syndicaliste d’arsenal à une gauche d’apparatchiks » soit plus sophistiquée, petite-bourgeoise et fonctionnaire que le personnel CFDT de l’Arsenal de Cherbourg d’où était jadis issue la classe politique locale ; et aussi plus idéologique. Gage de cette mutation, la ville cherche d’ailleurs à adopter les codes des métropoles qui votent massivement Mélenchon en proposant une politique culturelle un peu haut de gamme ou en multipliant les pistes cyclables malgré le vent, la pluie et les intempéries. « Il y a une dichotomie entre le programme de la Nupes et les intérêts d’une circonscription parmi les plus nucléarisées de France. La candidate socialiste a d’ailleurs mis de l’eau dans son vin. Donc en principe, tout irait bien pour la Nupes, mais il y a le nucléaire » conclue Christophe Boutin.
La droite atomique
Un projet d’entreposage d’une nouvelle piscine nucléaire à la centrale de la Hague provoque quelques remous localement. Des manifestations redonnent une certaine visibilité aux anti-nucléaires que la gauche aimerait ignorer au moins le temps des élections. La Nupes trébuchera-t-elle sur la filière atomique ? Ses adversaires profitent en tout cas de la faille. La défense de l’industrie nucléaire figure en haut des tracts du candidat Reconquête, Yann Da Cruz. Le profil médiatique de la députée sortante lui offre un espace: « Sonia Krimi est connue pour être militante pro-immigration. Elle explique que c’est à la France de savoir intégrer les nouveaux venus, qu’il y a de la place pour tout le monde… et nie le lien entre immigration et insécurité ».
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À l’UDI, Nicolas Calluaud dénonce même le mix énergétique et promeut le 100% nucléaire – s’opposant du même coup au projet d’installation d’un parc éolien au large de Barfleur : « Je préfère le nucléaire qui est une industrie française aux palmes américaines de General Electric ». Défenseur du patrimoine local, le jeune homme s’était fait connaitre en faisant venir Stéphane Bern pour dénoncer le délabrement de certains édifices du port de Cherbourg – en obtenant aussi un financement du Prince de Monaco. Il trouve face à lui la candidate LR Camille Margueritte ; d’ailleurs épouse du président de l’agglomération du Cotentin, David Margueritte, qui cogère la collectivité avec les socialistes et les communistes. Et comme nul ne règne ou ne cogère impunément, les critiques de la candidate LR à l’endroit de la gauche sont mesurées – comme sans doute ses chances de succès.
Paradoxe : le représentant de l’UDI tient un discours plus conservateur que la droite classique. Vous l’avez compris: sur la presqu’ile, la vie politique semble à plus d’un titre atomisée…
[1] Le Parc naturel régional des Marais du Cotentin et du Bessin NDLR
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