Légion d’honneur pour tous


Légion d’honneur pour tous

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Laurence Cornara, veuve d’Hervé Cornara, chef d’entreprise assassiné et décapité le 26 juin 2015 par son employé Yassine Salhi est amère. Elle est déçue de ne pas avoir vu le nom de son mari dans la liste des promus, à titre posthume, dans l’ordre de la Légion d’honneur, comme d’autres victimes d’attentats djihadistes des 7 et 8 janvier 2015, à Charlie Hebdo, Hyper Cacher et Montrouge. Mme Cornara s’en est ouverte longuement dans les colonnes de son quotidien régional, Le Progrès. Elle se dit « déçue pour tous les oubliés du terrorisme » n’ayant pas eu droit à cette décoration.

Les attentats du 13 novembre, et le nombre élevé de leurs victimes, auront sans doute pour conséquence qu’elle ne restera pas seule dans la cohorte des « oubliés », car on voit mal comment on pourrait gonfler les promotions pour les accueillir tous…

C’est une maigre consolation, qui nous invite cependant à suspendre un bref instant notre compassion envers les victimes des attentats et de leur famille pour poser un problème simple : la statut de « victime innocente » justifie-t-il à lui seul que la Nation vous témoigne post mortem sa reconnaissance en vous décernant la décoration la plus prestigieuse de la République ? Cette dernière a, certes des devoirs envers ceux qui ont subi des dommages irréparables pouvant être mis en relation avec l’action de l’État et du gouvernement en matière de politique extérieure ou intérieure. Les autorités de l’État doivent donc mettre tout en œuvre pour adoucir, autant que faire se peut, la détresse morale et matérielle de leurs proches.

Mais, jusqu’à nouvel ordre, la Légion d’honneur a pour vocation de distinguer ceux qui, par leur engagement au service de l’État, de la Nation dans toutes ses composantes, militaire, économique, scientifique, artistique etc, ont montré des qualités exceptionnelles. Les victimes d’attentats aveugles entrent-ils dans cette catégorie à ce seul titre ? Ceux qui sont tombés en service commandé, comme les policiers chargés de la protection des gens de Charlie, la policière municipale de Montrouge et les militaires américains qui ont maitrisé le tueur du Thalys sont des héros, ont été décoré, et c’est bien ainsi. Devenir victime sans avoir eu conscience de s’exposer, par sens du devoir ou par conviction éthique, au danger djihadiste est un sort funeste. Il vous donne droit à la compassion de vos semblables, et à leur solidarité, pas plus.

Le cas des dessinateurs et employés de Charlie est plus complexe : ils ont exposé leur vie au nom de la liberté d’expression, mais chacun sait bien qu’ils n’auraient jamais accepté, de leur vivant, cette décoration que leurs conjoints ou enfants survivants ont reçu en leur nom. Ils étaient dans la ligne de Maurice Maréchal, fondateur du Canard  Enchaîné, qui licencia,  en 1933, l’un de ses journalistes, Pierre Scize, au motif qu’il avait obtenu le ruban rouge. Ce dernier arguant, pour sa défense, du fait qu’il n’avait pas sollicité cette décoration, Maréchal lui rétorqua « Il ne fallait pas la mériter ! »

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00721384_000009.



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