Il y a désormais un quasi consensus dans la classe politique pour faire voter une loi d’interdiction de la burqa. La droite y voit un moyen de donner corps à sa thématique identitaire censée lui attirer les faveurs de l’électorat populaire. La gauche ne veut pas être en reste de peur d’être accusée de laxisme. Après presque un an de débat, les divergences ne portent plus que sur les modalités de la procédure législative (proposition ou projet de loi) ou sur les modalités de l’interdiction (générale ou partielle) Mais, sur le fond, tout le monde est d’accord que la République adresse un signe fort aux populations musulmanes pour marquer clairement les limites de l’acceptable.
Je ne contesterai ni la réalité de la demande sociale pour interdire ce type de comportement, ni sur l’intérêt de rappeler certaines exigences du vivre ensemble. Néanmoins, l’idée d’une interdiction du port de la Burqa suscite chez moi de telles réserves que je serais probablement amené à voter non si une telle proposition devait être soumise au référendum, ainsi que le propose Elisabeth Levy.
Un enjeu d’assimilation plus que de laïcité
Même si elle présente quelques traits communs, l’affaire de la Burqa se distingue assez nettement de l’affaire précédente liée au port du voile à l’école. Il ne s’agit pas ici d’affirmer la laïcité de l’enseignement ou de mettre l’école à l’abri des communautarismes religieux, mais d’exprimer une exigence d’assimilation à l’égard des populations immigrée ou musulmanes.
Il n’est même pas nécessaire d’interroger les motivations des personnes qui décident de porter (ou de faire porter) la burqa. Il importe peu finalement de savoir s’il s’agit pour les personnes concernées d’une prescription religieuse, d’une provocation à caractère politique ou d’un simple effet de mode vestimentaire. Seul compte le jugement de la population autochtone. Le port de la burqa est perçu comme visant à faire disparaître la femme de l’espace public et un refus ostensible de se conformer aux valeurs et aux traditions de notre civilisation.
Même si on peut être critique sur le discours assimilationniste[1. J’y reviendrais prochainement dans un article « grand format » où je répondrai notamment aux obsessions d’Eric Zemmour exprimées dans le dernier chapitre de son livre.], on ne peut pas ignorer qu’il existe aujourd’hui une crispation de plus en plus forte de la société française contre ce qui est perçu comme de l’islamisation et du repli communautaire. Le politique doit donc répondre à cette demande. Il en va du respect de la « volonté générale ».
Néanmoins, l’honneur du législateur est de savoir comment répondre au mieux à cette demande sociale. Si satisfaire la volonté générale est un impératif en démocratie, rechercher l’intérêt général est une exigence peut-être encore plus grande en République.
Or, en l’espèce, il convient de prendre garde aux effets pervers que cette loi pourrait entraîner comme à la tentation du fétichisme législatif qui consiste à croire qu’un problème va être résolu du seul fait de la promulgation d’une nouvelle loi. Il y a parfois plus qu’une marge entre la proclamation du souhaitable et la transformation effective de la réalité sociale. S’il y a une leçon que nous devrons conserver du sarkozysme c’est bien celle là !
Fondamentalement, la question est de savoir si la société française veut se faire plaisir (ou si le corps politique veut flatter dans l’opinion publique) ou s’il s’agit réellement d’éradiquer de la société les expressions les plus visibles des tensions communautaires ?
Incrimination ou incantation ?
Sur quel modèle est-on ? Celui du voile, où la loi a effectivement permis de faire disparaître le phénomène ou celui de la loi bavarde qui prétend s’emparer d’un problème sociétal sans avoir de prise sur la réalité ? Cette loi va-t-elle simplement enrichir encore un peu plus notre droit pénal avec de nouvelles interdictions accompagnées de sanctions disproportionnées qui ne seront concrètement appliquées ni par la police, ni par la justice, à l’image de ce que l’on fait avec la prohibition du cannabis depuis quarante ans ou du développement des délits de « harcèlement » censés répondre à la montée des violences interpersonnelles[2. Ou d’une moindre capacité des personnes à y résister.] ou de l’intensification du travail dans les services ?
L’interdiction partielle ou totale de la burqa n’aura de sens que si on se donne réellement les moyens de poursuivre et de sanctionner la nouvelle incrimination, à l’image de ce que l’Etat a fait depuis une décennie avec les délits routiers, ce qui a entraîné une systématisation des contrôles, une répression aveugle, souvent totalement disproportionnée avec la réalité des troubles à l’ordre public et, incidemment, une explosion du nombre de gardes à vue. Une telle politique a naturellement un coût élevé, que ce soit en termes d’utilisation des forces de l’ordre et de mobilisation de l’appareil judiciaire, ou de perception des forces de l’ordre par la population. La police va-t-elle se mettre à traquer avec la même obsession toutes les manifestations des ratés de l’assimilation ? Est-ce cela que l’on souhaite ? A-t-on vraiment mesuré toutes les conséquences qu’aurait une telle politique ?
Imaginons la scène : Elle se déroule dans une petite rue commerçante d’une banlieue où les populations immigrées et musulmanes sont majoritaires. Une patrouille de police aperçoit trois femmes intégralement recouvertes de ce voile récemment interdit par la Loi. Conformément aux nouvelles instructions, la patrouille intervient pour sanctionner cette nouvelle délinquance vestimentaire. Le contrôle d’identité est rendu difficile par la faible maîtrise de la langue des contrevenantes. La discussion tourne au dialogue de sourd et le ton monde. La population alentours s’en mêle. D’autres femmes non voilées prient la police de laisser en paix ces femmes qui n’ont rien fait de mal. Des jeunes appuient leur propos par des insultes anti-policières dans leur langage fleuri typique des cités. Des barbus ne tardent pas à se joindre à l’attroupement pour s’interposer entre les femmes et la police et tiennent des propos beaucoup plus politiques exprimant une véritable hostilité à l’égard de la France. La patrouille est vite débordée. Elle n’a plus que le choix qu’entre battre piteusement en retraite ou appeler des renforts pour coffrer tout ce petit monde pour outrage, rébellion et accessoirement port de la burqa.
Dans les deux cas, l’intervention aura été à l’encontre de l’objectif d’assimilation. Soit la police, et à travers elle la République, se ridiculise en renonçant à faire appliquer la loi, soit elle fait son boulot et renforce encore plus la fracture nationale et la haine que peuvent ressentir les populations de ces quartiers à l’égard des forces de l’ordre. Il est clair que de diriger la brutalité légendaire de la police sarkozienne contre des femmes dont la seule faute aura été de se dissimuler le visage n’est pas forcément une idée géniale pour réconcilier les populations des quartiers avec les symboles de la République !
L’assimilation des étrangers est-elle du ressort de la police ?
Je crains que l’on s’aperçoive vite de l’impossibilité pratique de faire respecter des codes culturels par la force publique. La police est là pour garantir la sécurité des personnes prévenir les troubles à l’ordre public et traduire devant la justice ceux qui auront commis des actes malveillants au préjudice de leurs semblables ou la société. Son rôle n’est pas de devenir le bras armé d’un législateur qui se piquerait de dire le bien et le mal en stigmatisant les comportements jugés déviants, immoraux ou néfastes.
Le conseil d’Etat a eu parfaitement raison de rappeler dans son avis que les atteintes à l’ordre public constituent le seul et uniquement fondement au pouvoir de police. Or, l’expression d’une non assimilation ne peut pas être considérée comme un trouble à l’ordre public tel qu’il est défini classiquement par le droit français (sécurité, tranquillité, salubrité publiques)
Natacha Polony rappelle toutefois fort justement que la notion d’ordre public a été récemment étendue au principe de sauvegarde de la dignité humaine, ce qui peut tout à fait justifier une intervention du pouvoir de police s’agissant du voile intégral : « Qui porte un voile couvrant l’intégralité de son corps et de son visage nie l’humanité en soi-même. Mais elle le nie aussi en les autres, qui sont jugés impurs, et indignes de regarder ce corps et ce visage. »
Cependant, il convient cependant de ne pas confondre le pouvoir de police qui édicte les règles et les services de police qui les font appliquer. Si l’intervention du législateur peut-être légitime en la matière, celle des services de police peut paraître inopportune ou inappropriée.
Toutes les normes ne sont pas de nature pénale. On pourrait en effet imaginer des dispositions concernant la burqa qui ne passeraient pas par des réponses policières : déchéance de la nationalité française, non renouvellement du titre de séjour, refus de naturalisation ou simplement une clause exonératoire de tout reproche de discrimination qui pourrait être adressé à une personne ou une institution qui refuserait d’embaucher ou de servir une personne vêtue d’un voile intégral.
La bonne réponse ne serait-elle pas finalement d’aller au bout de la logique de rupture communautaire proposée par la burqa en excluant les personnes qui font ce choix de toute vie sociale ? Le processus assimilation relève en effet davantage de l’intransigeance de la société civile que de l’appareil normatif ou répressif. Peut-être ne suffirait-il finalement que de libérer la xénophobie latente de la société française[3. Au sens de rejet de ce qui apparaît comme trop étranger.] en autorisant explicitement les réactions de rejet que suscite ce désir d’enfermement ?
Texte initialement paru sur Horizons.
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