Au nombre des ouvrages parus à la rentrée figure La société des égaux de Pierre Rosanvallon. L’auteur prétend y refonder l’idée d’égalité après que celle-ci est tombée en panne. Il rappelle qu’à l’heure de la Révolution française, l’égalité était appréhendée comme « une façon de faire la société, de produire et de faire vivre le commun ». Loin de désigner la seule redistribution des richesses, elle était considérée comme « une qualité démocratique ».
Samedi 1er octobre, sous une pluie de soleil estival, les parisiens ont eu l’occasion d’appréhender la « qualité démocratique » de notre modernité souriante en divers endroits de la capitale.
Enième réplique du séisme DSK, la Marche des salopes réunissait une centaine de manifestantes, expérimentant l’ivresse joyeuse et communicative du pas cadencé, de Montparnasse au Panthéon. Légères et court vêtues, elles dénonçaient tout à la fois « le sexisme », « la culpabilisation des victimes de viol » et « les réflexions désagréables dans la rue quand on s’habille bien ».
On ne sait s’il s’agissait là de soutenir Tristane Banon, confrontée la semaine dernière à celui qu’elle accuse d’agression, ou de prolonger l’euphorie que n’aura pas manqué de provoquer, chez les féministes, l’opération « mademoiselle » du collectif OLF. Quoiqu’il en soit, les actions éparses et désordonnées menées depuis quelques mois par les militantes de la cause des femmes auront beaucoup nui à leur crédibilité. En proposant « d’Oser le clito » comme on dénonce le viol, elles brouillent la frontière entre la condamnation légitime d’un crime et la mise en scène pathétique d’une frasque médiatique. En mettant dans le même sac del’inégale répartition des tâches ménagères – qui relève de la liberté de s’organiser comme on l’entend au sein de sa maisonnée – et le problème de l’iniquité salariale hommes-femmes, qui nécessiterait un vrai débat politique, les indigné-es achèvent de semer la confusion, au point qu’on ne peut désormais plus prononcer le mot « féminisme » sans générer une salve de rires gras.
Cependant que les « salopes » coléraient dans leur coin, quelque 900 personnes participaient à la première Roma Pride, une marche pour la dignité des « Roms, Tsiganes, Gitans, et Gens du voyage. Au-delà des oraisons traditionnelles contre la « stigmatisation » et autres « discriminations », les organisateurs vilipendaient « les nombreuses confusions volontairement entretenues entre catégories administratives, nationales, culturelles et entre Roms, Tsiganes, Gitans et Gens du voyage au prétexte que « celles-ci fabriquent, pour mieux la désigner, une population qui serait homogène et viscéralement dangereuse pour la République ». C’est sans doute pour mettre un terme à toute cette confusion que les participants avaient décidé de s’unir dans leur diversité et de communier dans leur hétérogénéité.
Avant que ne débute la Pride, Domique Sopo, président de SOS-Racisme, diffusait ubi et orbi le communiqué des associations organisatrices. Celui-ci proposait, « dans une ambiance citoyenne, festive et revendicative », de réclamer « le respect pour tous les Européens de la liberté de circulation, un des fondements essentiels de la construction européenne. Ceci implique notamment l’intégration de la Roumanie et de la Bulgarie dans l’espace Schengen ». En voilà une bonne idée ! Après avoir œuvré sans relâche pour que réaliser la libre circulation des capitaux et des marchandises, attelons-nous désormais à accroître celle des êtres humains. Les pauvres du monde entier ne sont-ils pas le carburant dont les « globocrates » ont besoin pour exercer la pression à la baisse sur les salaires qui leur permet d’accroître leurs profits ? Quant aux pays de l’Est de cette Europe mal élargie, continuons de les intégrer sans exigences ni conditions. Et, plutôt que de les inviter à protéger leurs minorités, congratulons-les pour les manifestations anti-Roms qu’ils tolèrent sur leur sol en acceptant que leurs victimes viennent s’échouer sur le notre.
Quoiqu’il en soit, des diverses « Marches » aux multiples « Prides», quand on voit le nombre de militants de tout poil qui battent le pavé pour exalter leurs différences au nom de l’égalité, et qui crient leur petite souffrance en espérant arracher ainsi leur part d’onction victimaire, on se dit que Rosanvallon s’est décidemment trompé de livre. Les « égaux » ont du plomb dans l’aile. Et c’est plutôt La société des ego qu’il aurait dû nous donner à lire.
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