Elle est sauvage
La Série Noire a trop souvent perdu ses plus beaux stylistes au fil des trente dernières années. On achète aujourd’hui du polar pour les maux qu’il dénonce et non pour les mots qu’il contient. Le lecteur, on le déplore, n’est plus sensible à la langue des mauvais garçons, cet argot littéraire 80’s, canaille par son jet populaire et élitiste par ses références. Les cadors du néo-polar avaient des lettres. Et ils savaient s’en servir. C’était pétaradant comme une vieille mob, ça coulait naturellement comme un Picon-bière très frais et surtout ça laissait en bouche le goût d’une certaine époque où les auteurs ne se couchaient pas au moindre oukase. Le « politiquement correct » n’avait pas encore enflammé nos bibliothèques avec tous ces « écrivains » droitdelhommistes, vils défenseurs des opprimés du monde entier, en réalité, propagandistes de leur porte-monnaie. A.D.G (1947-2004) n’était pas un de ces béni-oui-oui. Il ne cachait pas ses opinions nationalistes, il ne cachait pas non plus ses immenses talents d’écrivain. La nuit myope, roman paru chez Balland en 1981 est une balade nocturne qui prend sa source du côté de Marcel Aymé et Jacques Perret. Son héros, Domi un cadre très moyen, aventurier binoclard se perd dans les rues de Paris à la recherche d’Armelle rencontrée en boîte. « C’est alors qu’Armelle entra, noyée dans un groupe hâbleur d’ex-jeunes giscardiens extrêmement bien peignés…Armelle était vêtue d’un bloudjine en daim (une certaine douceur, mais sans l’écœurement du velours-tapioca) et d’une tunique brodée de motifs archimandrites » écrit-il. Vous l’avez compris, les mots ne trompent pas, le garçon était doué. Cette quête du macadam remplie de bons mots est aussi hilarante que déchirante.
La nuit myope d’A.D.G – Editions Balland
De Châteauroux à Hossegor
Je suis tombé récemment sur la route de Jean Prévost grâce à l’éditeur Emmanuel Bluteau et au journaliste-romancier Jérôme Garcin. Ils sont les infatigables promoteurs de l’œuvre de cet écrivain mort à 43 ans, en héros de la Résistance, dans le Vercors au début du mois d’août 1944. Dans le maquis ou les Lettres parisiennes, Prévost ne manquait ni de courage, ni de foi. Cet honnête homme croyait dans les vertus d’une République irréprochable. Il chérissait la méritocratie comme notre bien le plus sacré. Ce stendhalien de cœur n’avait pas pris, comme d’autres imposteurs, l’ascenseur social au niveau des étages élevés. Son parcours, de Normale Sup à Gallimard, ne devait rien à sa docilité ou à ses relations. Il était né dans un milieu modeste et ne dédaignait pas faire le coup de poing. Dans cet environnement protégé de la rue, son activisme polygraphe et sa puissance de travail déroutaient, agaçaient même. Une telle force de caractère semble toujours suspecte chez les planqués de l’édition. Ces godillots de l’écriture qui grimpent par aspiration en se mettant dans la roue des plus forts. Prévost pouvait aussi bien écrire sur le sport, le cinéma, traduire Lorca, préfacer Hemingway ou achever des romans, miroirs d’une jeunesse partagée entre désirs de succès brillants et déjà marquée d’illusions perdues. Il a eu le temps d’achever Le Sel sur la plaie et sa suite, La Chasse du matin que tout jeune homme doit avoir lu avant de se lancer dans une quelconque voie professionnelle. Crouzon, héros désargenté, animé par un absolutisme presque religieux, la rage sociale au ventre, tente de se faire une place sous la IIIème République. L’ascension de cet écorché sera longue, il devra d’abord s’exiler dans le Berry et patiemment prendre les rênes d’une imprimerie pour asseoir son prestige local. Le Sel sur la plaie raconte cette première étape qui se situe dans les années 20. Puis, devenu riche, député, self-made-man comblé de 35 ans, il profite de la vie dans La Chasse du matin. Cette fois-ci, il se trouve à Hossegor en 1932, homme sûr de son charme, mécanique intellectuelle et physique huilée, il va mettre le pied à l’étrier à quelques jeunes en manque de réussite. Sur cet axe Châteauroux/Hossegor, Prévost, avec une prescience remarquable, trace les caractères de l’âme humaine. Palette immuable qui coure des bassesses aux grandeurs.
Le Sel sur la plaie et La Chasse du matin de Jean Prévost – Zulma
Star 80
Les livres de Patrick Besson ont le charme électrique des tubes des années 80. Confidence pour confidence, on y revient toujours. Un peu par accès de mélancolie et beaucoup par tendresse. Besson aura été le grand mémorialiste de ces années-là, le Cardinal de Retz du Boulevard Aristide-Briand, notre meilleur allié dans un monde faussement ouvert et libre. La fin des utopies empestait le marchandage plein gaz et l’humanisme en peau de lapin. Besson inlassable artilleur, pilonnait, sans retenue, les petits barons de l’époque et les idées « progressistes ». Son sens de la formule acide en faisait un virtuose de la mise à mort. Appréciez le tir : « Toutes les mères tuent leur fille et beaucoup se servent du téléphone ». Dans chaque grand écrivain sommeille un dictateur débonnaire. Besson nous régalait de courtes nouvelles, plus proches du journal intime que de la fresque historique, bien qu’avec ce communiste non repenti, nous avions un aperçu assez fidèle de cette décennie mortifère. Dans Les Années Isabelle paru aux Editions du Rocher en 1991, il nous parle des filles habillées en Alaïa et Cacharel, des actrices Isabelle Adjani et Brigitte Nielsen, du Quotidien de Paris et de Claude Cabanes, de Jean-Marc Roberts et de Matthieu Galey. Et puis surtout, on retrouve nos repères d’adolescent qui se mêlent à la vie Bessonienne. Son quotidien fut assurément le nôtre. Neuhoff en dandy du tweed, le service militaire en Allemagne, le steak au poivre à la carte des restaurants, la Collection Penguin dans les librairies, autant d’événements, d’impressions que nous avons vécus par procuration.
Les Années Isabelle de Patrick Besson – Editions du Rocher
*Photo: Gary Burchill / Mood Bo/REX/SIPA.REX40177236_000001
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