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École: ce n’est plus le Moyen Âge!

« L’école au Moyen Âge », exposition à la tour Jean-sans-Peur, jusqu’au 5 janvier 2025


École: ce n’est plus le Moyen Âge!
Saint Augustin enseignant la rhétorique à Carthage, Ottaviano Nelli, xve siècle © Bridgeman Images

Une exposition sans prétentions spectaculaires nous apprend que nous devons beaucoup à l’école du Moyen Âge : l’intérêt porté à l’enfant, l’explication de texte, l’apprentissage du par cœur… Autant de méthodes qui ont permis la transmission du savoir des siècles durant. Alors que le Moyen Âge est, chez les Béotiens, synonyme d’obscurantisme, peut-être a-t-il quelque chose à nous apprendre.


La vidéo d’une petite fille de 3 ans frappée et humiliée en classe par sa maîtresse le mois dernier a donné à voir une version assez originale du fameux « Choc des savoirs » annoncé en grande pompe en octobre 2023 par le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, pour « élever le niveau de notre école ». Le choc, pour cette fillette, n’a visiblement pas été celui des savoirs. Quant à l’école, TikTokisée en cette brève séquence devenue follement médiatique – à l’inverse des courtes vidéos tout aussi édifiantes réalisées en plein cours par bon nombre de collégiens dans le dos de leurs professeurs, mais que l’on ne voit pas tourner en boucle sur les chaînes d’information –, elle a déserté le terrain pourtant fécond du baratin politico-administratif pour rejoindre celui, non moins fertile, du bla-bla émotionnel.

Le vocabulaire mi-martial (« la bataille des savoirs commence par l’exigence »), mi-tragique (« lutter contre les inégalités de destin ») et globalement incompréhensible (« les compétences psychosociales ») du « Choc des savoirs » s’est heurté à la torgnole d’une institutrice de l’Éducation nationale apparemment assez peu au point sur ses propres compétences psychosociales. Torgnole qui a indigné – à raison – la terre entière. On se serait toutefois passé du ton véhément de ces figures d’habitude si promptes à pontifier sur la femme-en-rupture-de-ban-avec-le-dictat-de-la-maternité mais qui, vu les circonstances, nous ont asséné du « moi qui suis maman de trois enfants » à longueur de plateaux de télévision.

Soyons clairs : dans un pays qui a décidé d’envoyer sa progéniture à l’école dès l’âge de 3 ans, la maternelle est un subtil mélange d’élevage, d’éducation et d’instruction. Dans le bruit et une agitation de basse-cour, entre les colères et les chagrins, les pipis inopinés des uns et les vomis improvisés des autres, les professeurs de la petite école réalisent un grand et noble travail : faire passer de très jeunes enfants du gros gribouillage hallucinatoire, du dessin sans queue ni tête, (presque) invariablement répété d’une feuille sur l’autre, à la petite lettre d’un alphabet commun, maladroitement formée et posée en équilibre précaire sur une ligne imaginaire comme une promesse d’écriture à venir. Contre toute attente, c’est entre le jeu de dînette, les chansonnettes entonnées sans conviction sur un banc, le découpage de papier crépon et le récit décousu d’une journée minuscule que notre civilisation prend forme.

Ce métier, celui de maître d’école, est à l’honneur à la tour Jean-sans-Peur, dans le 2e arrondissement de Paris. Certains ayant parlé, à l’occasion de la raclée de septembre, de pratiques éducatives d’un autre âge et d’un autre temps, « L’école au Moyen Âge » est, par comparaison et sur ce thème de l’instruction, une petite exposition bien intéressante. Encore qu’on puisse se demander si l’époque médiévale est toujours d’un autre âge et d’un autre temps, vu qu’aujourd’hui l’école choisit de plaquer sur cette période de mille ans les obsessions sociétales des dix dernières années. Des exercices de collège, en 2024, proposent ainsi de trouver des métiers dans le Paris du xive siècle qui plaisent (sic) à deux frères et leur sœur (cette dernière « craignant de n’être acceptée nulle part parce qu’elle est une fille »), de chercher « les raisons pour lesquelles on ne connaît pas beaucoup de femmes chevaliers », et de « donner son avis sur la manière de tomber amoureux dans les romans de chevalerie ». On ne change vraiment d’époque que lorsqu’on lit la liste des mots qu’un collégien est censé ignorer et qui nécessitent une explication : le mors d’un cheval, vermeil, se signer, le Credo, en font partie. On serait presque tenté, pour une fois, d’écouter l’éminent médiéviste Patrick Boucheron parler de manuels scolaires « désespérants ». Mais ils ne sont désespérants pour lui que dans la mesure où ils continuent à cultiver l’héroïsme des grands commencements, à parler de cathédrales et de châteaux forts et non de révolte ou de joyeuse profanation.

L’exposition de la tour Jean-sans-Peur n’est pas éblouissante. Rien d’immersif, pas de parcours sonore ou olfactif, pas de reconstitution de l’ambiance d’une salle de classe au xiie siècle. Juste une série de panneaux sur des thèmes liés à l’instruction : « Alphabétisation », « Scolarisation », « Outils pédagogiques », « Maîtres et Élèves », « Établissements scolaires », « Salles de classe », « Programmes scolaires », « Apprendre à écrire, à compter, à chanter », etc. Des premières écoles monastiques à la centaine d’écoles parisiennes du xve siècle, en passant par l’ordonnance de Charlemagne (789), on se fait une idée de ce qu’ont pu être l’instruction et l’apprentissage au fil des siècles. Bien peu d’écoliers maîtrisaient les Arts libéraux (grammaire, logique, rhétorique, arithmétique, géométrie, musique et astronomie). Seul un petit nombre d’entre eux allait à l’université, mais tous acquéraient, à partir de 7 ans, la maîtrise de savoirs devenus indispensables dans une société marchande comme l’était la société féodale médiévale : il fallait pouvoir noter les dettes des clients, vérifier les comptes du domaine ou de la boutique, compter son bétail.

Le maître d’école devait, lui, passer par l’université et y obtenir l’autorisation d’enseigner (la licence). Il était (déjà) peu rémunéré, mais son arrivée était vécue comme une chance par les habitants, qui lui offraient parfois un habit neuf ou des provisions. À part la chaire, les salles de classe étaient peu meublées, les bancs ne faisant leur apparition qu’à la fin du Moyen Âge : les élèves s’asseyaient sur de la paille ou de petits tabourets. Les livres étaient rares, car ils coûtaient cher, l’équivalent d’un troupeau. Quant au papier, il était trop onéreux pour qu’on puisse y former ses premières lettres : on gribouillait sur de l’écorce, des palettes de bois chaulées ou des tablettes cirées. On apprenait à lire dans la Bible, avant que ne viennent s’ajouter, tardivement, les fables et les romans de chevalerie. Les élèves étaient généralement punis à coups de badine de bouleau sur la tête, les mains ou le visage en cas de manquement à la discipline : interdiction de parler, de ricaner, de courir, de se suspendre aux cloches ou de s’enfuir (sauf en cas de peste). À partir du xie siècle toutefois, les éducateurs partisans de la méthode douce interdirent de blesser les enfants jusqu’au sang ou de leur casser un membre. On devait se lever au passage d’un ancien, réciter le psautier et recopier des formules toutes faites – « Je m’appelle untel. Je suis un bon garçon, Dien m’aime » – formules auxquelles s’ajoutaient parfois des réflexions plus personnelles : « Untel et untel sont de méchants garçons. »

Voici, en gros, l’école d’un autre âge et d’un autre temps. On est loin des tableaux blancs interactifs, des tables en U, du collège unique et de la fac pour tous, du bureau du maître à même hauteur que ceux des élèves (à défaut de pouvoir l’installer un peu plus bas encore), des manuels scolaires labellisés et des cours d’empathie. Nous devons pourtant beaucoup à l’école du Moyen Âge. Nous lui devons l’intérêt porté à l’enfant, contrairement à l’Antiquité qui considérait que « la seule justification de l’enfance était de se dépasser et de conduire à l’homme fait », comme l’a montré Henri-Irénée Marrou dans sa magistrale Histoire de l’éducation dans l’Antiquité. Nous lui devons d’avoir donné du prix à la mémoire, en ritualisant le par cœur à travers la récitation à voix haute des psaumes, ce par cœur tant décrié par les humanistes du xvie siècle, mais dont George Steiner aimait à rappeler qu’il était avant tout un apprentissage par le cœur. Nous lui devons encore l’explication de texte au bac de français, héritage des lectures commentées des maîtres carolingiens, cette glose qui passait par les mots et la grammaire du texte pour accéder à son sens général et l’intention de son auteur : « Toi qui fouilles les écrits de Virgile sans les commenter, tu ne rongeras que la seule écorce sans goûter la noix. » (Maître Egbert de Liège cité par l’historien Pierre Riché). À l’heure de la « règle Mbappé », moyen mnémotechnique employé par certains professeurs pour que les élèves de primaire n’oublient pas que le n devient m devant les consonnes m, b et p, à l’heure des poésies laborieusement apprises strophe par strophe sur une dizaine de jours, du passé simple récité sans les deux premières personnes et des QCM de littérature, il n’est peut-être pas inutile de se souvenir du Moyen Âge autrement que comme d’un millénaire obscurantiste plein de moines pérorant férule à la main.

Comme dirait Christine de Pizan (1364-1430) dont la statue dorée ne dit pas grand-chose à grand monde, mais qui fut présentée lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques Paris 2024 comme une star médiévale du féminisme : on n’a bien souvent que les résidus des héritages qui nous reviennent.


À voir

« L’école au Moyen Âge », exposition à la tour Jean-sans-Peur, jusqu’au 5 janvier 2025.

À lire

Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, 1948.

Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, tome 2

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Pierre Riché, L’Enseignement au Moyen Âge, CNRS éditions, 2016.

L'Enseignement au Moyen Age

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Octobre 2024 - Causeur #127

Article extrait du Magazine Causeur




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Georgia Ray est normalienne et professeur (sans -e).

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