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Le zombie au cinéma, stade ultime du capitalisme?

"Géographie Zombie, les Ruines du Capitalisme", un essai de Manouk Borzakian


Le zombie au cinéma, stade ultime du capitalisme?
The Walking Dead (Saison 1) Capture d'écran © AMC Networks / Netflix

Dans Géographie Zombie, les Ruines du Capitalisme, le géographe et enseignant Manouk Borzakian démontre comment ces films de genre expliquent notre nouveau rapport au monde et aux lieux. Effrayant ?


Hasard calendaire : alors que sort actuellement sur les écrans un énième avatar de « film de zombies » passé à la moulinette du style nonchalant de Jim Jarmusch, Manouk Borzakian publie un essai court et percutant sur la figure cinématographique du mort-vivant.

Pendant longtemps chéri par les uniques fans de cinéma fantastique (Romero, évidemment), le mort-vivant a désormais conquis aussi bien les multiplexes mondialisés que le petit écran (voir le succès de la série TV The Walking Dead). Les études consacrées aux zombies ont d’ailleurs vite dépassé le strict cadre du cinéma de genre, et s’inscrivent désormais dans une vision philosophique et politique plus large, comme le montre l’essai The Walking Dead : guide de survie conceptuel de Benoît Christel, Arnaud Marie et Pierre Magne chez Rouge profond.

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La menace met désormais en danger notre identité

L’originalité de l’ouvrage de Manouk Borzakian est d’envisager la figure du zombie dans une optique géographique, en tentant de définir ce qui chez le mort-vivant nous parle de notre nouveau rapport au monde et aux lieux. Revenant rapidement sur l’imaginaire colonialiste du zombie des origines (ceux que l’on retrouve dans le sublime Vaudou de Tourneur ou le White Zombie de Victor Halperin), symbole d’une altérité mystérieuse, légèrement inquiétante et exotique, l’auteur aborde la rupture Romero, et ce qu’il appelle « l’altérité interne », en ce sens que la menace vient désormais de son propre territoire et met en danger notre identité.

Plus que les extra-terrestres qui symbolisaient dans les années 50 la menace communiste au temps de la guerre froide, le mort-vivant introduit la notion de contamination et de dépossession de soi puisque, par définition, un zombie conserve l’écorce du Moi tout en étant radicalement autre. On imagine bien, à partir de là, toutes les extrapolations politiques qu’on peut émettre à partir de cette figure : symbole de l’homme aliéné comme les zombies déambulant dans le temple du consumérisme absurde que représente le grand magasin dans Zombie de Romero mais également la prolétarisation d’une certaine partie de l’humanité : « A l’heure de la mondialisation néolibérale, la prolifération de la figure du zombie pourrait bien aussi faire écho à l’émergence, jusque dans les pays riches, d’une « humanité superflue » réunissant, selon l’historien Achille Mbembe, celles et ceux que le capital n’a même plus besoin d’exploiter pour assurer son fonctionnement. »  

L’attaque zombie, métaphore du désir de préserver un « ici » ?

L’enjeu de la question zombie va être celui du territoire. Avant même que l’auteur l’évoque au cours de son essai, on se dit qu’au fond, le mouvement imprimé par les films de morts-vivants étaient l’inverse de celui qui fit les grandes heures du western. D’un côté, un territoire à conquérir, des frontières à repousser toujours plus loin à l’Ouest et une organisation sociale à implanter, la Loi et le tribunal se substituant peu à peu à la loi du plus fort des pionniers.

Ce que montre bien Borzakian, c’est qu’avec l’arrivée des hordes de zombies, ce territoire se rétrécit et devient un espace menacé à défendre coûte que coûte. À ce titre, Land of the Dead de Romero est l’un des films les plus explicites d’un point de vue métaphorique : tandis que les plus riches vivent dans un luxe indécent dans un centre-ville barricadé, les plus pauvres sont expulsés à la périphérie et menacés par les attaques zombies. L’auteur, en se basant sur des exemples précis, montre que ces œuvres traduisent un certain état du monde où les frontières nationales, menacées par les coups de boutoir de la mondialisation, s’effritent et suscitent l’inquiétude et l’angoisse de l’Autre. L’auteur analyse alors les différentes stratégies mises en place par les vivants, géographiquement parlant, pour assurer leur survie : le repli sur soi, une militarisation de l’espace, le désir de préserver un « ici »…

Vous avez dit « urbaphobie » ?

Dans une dernière partie, il se penche sur ce qu’il appelle « le reflux de la civilisation » et le « déficit des lieux ». En gros, la figure du zombie symbolise une destruction de l’espace public puisque une logique de réseau physique et numérique s’est substituée à celle de territoire : les individus ne forment plus une communauté structurée par un espace délimité mais sont plus ou moins connectés et mis en relation par des « lignes » (routes, tubes…) et des « nœuds » (gares, échangeurs d’autoroutes…). Les zombies disent quelque chose de cet effritement d’un espace public désormais piégé. Il faut alors se barricader et/ou fuir. À ce titre, Borzakian consacre quelques très belles pages à l’espace urbain et ce qu’il appelle l’« urbaphobie ». Il s’agit moins dans ces œuvres de montrer la ville comme un espace dangereux et hostile que de souligner la nostalgie d’une ville plus humaine, espace public pas encore déshumanisé : « Les zombies racontent la nostalgie d’un monde disparu. »

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On l’aura compris : l’essai est très stimulant et analyse finement ce que ces films de morts-vivants nous disent de notre rapport au monde. À chacun ensuite d’en tirer ses conclusions. Manouk Borzakian milite pour la fin d’une logique sécuritaire et souligne le danger de « la tentation de se replier sur des particularités culturelles, de s’agripper à une authenticité fantasmée, de puiser dans les symboles de la nation pour consolider les frontières nationales menacées et en exclure toute impureté ». Il imagine l’organisation d’une résistance à ce mouvement d’uniformisation mondiale depuis le « local » (dans un renversement de perspective, les zombies sont aussi les traders, les « costards-cravates » qui vont pointer à la Défense chaque matin, la police surarmée qui défend les intérêts des financiers…). Non pas pour le folklore de la « culture » des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part », mais pour inventer de nouvelles organisations et de nouvelles solidarités face à un monde qui s’effondre…

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est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

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