« Le Voyage en pyjama » de Pascal Thomas, en salles aujourd’hui, est une échappée dans la province des sentiments
Quel bonheur de passer une heure et demie, dans une salle climatisée, loin des gens sérieux, en compagnie d’acteurs tendres et désintéressés, en dehors de tout discours formaté et d’hallali médiatique ; notre esprit peut enfin s’échapper, respirer, se laisser griser par la nostalgie et le temps qui passe. Pascal Thomas vient lentement prendre le pouls de cette province oubliée ; à son chevet, il raconte les tourments d’un homme, son indécision et ses faiblesses, ses amours et ses tentations.
Le pathos excessif et le nombrilisme impoli sont exclus de ce cinéma-là. Pascal Thomas est le dernier cinéaste français à savoir filmer une route de campagne, un chemin de halage, la nef d’une église, la promiscuité d’un TER, un bac reliant deux rives, une Vespa ancienne et ses pneus à flancs blancs, une maison bourgeoise avec ses bibliothèques grillagées et le vernissé de parquets centenaires. La délicieuse contrariété des relations adultérines a besoin de calme pour s’épanouir.
L’errance d’un quadra
Avec Pascal Thomas, point d’achélèmes en fusion et d’aigreur, il pratique un art subtil, à l’ironie rieuse et au romantisme chancelant, une sorte de pointillisme qui laisse de minuscules traces sur la peau et dans les têtes après la séance.
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Soyez rassurés, chers lecteurs, cette maladie n’est pas contagieuse ; au contraire, elle ravive les sentiments enfouis. « Le Voyage en pyjama » semble anodin, presque inoffensif en ce début d’année 2024, il est plein de malice et d’inventions, de références littéraires et de marivaudage. Pascal Thomas est ce joueur amusé qui se délecte de la douce errance d’un quadra en échappement libre. Un moraliste qui ne résiste pas au charme de dévoiler un sein lourd et à nimber son héros d’un détachement solaire face aux contingences du quotidien. Cette éducation sentimentale se révèle poétique, friable, spirituelle et drôle. Car ce réalisateur antimoderne a horreur du plombant et du sentencieux, sa pudeur l’oblige à trouver des parades et des allégories pour nous émouvoir.
Dans « Le voyage en pyjama », on retrouve par petites touches, tout ce qui fait l’essence de son cinéma depuis les années 1970 : la cavalcade des femmes jadis aimées, les compagnons de bordées, les lectures nocturnes, la cinéphilie comme exhausteur de goût, le refus de s’engager, les atermoiements du masculin/féminin et l’absence de repentir. Nous suivons alors, le parcours d’un professeur de français, le beau Victor, interprété par le très convaincant Alexandre Lafaurie qui impose son naturel direct et son propre rythme de la comédie, dès les premières minutes. Nous montons sur son porte-bagage et nous nous laissons porter par le vent du destin. Il pédale sur les routes, entre émois charnels et scènes bouffonnes, à coups de citations et de ballons de vin blanc, le passé refoulé déploie sa longue tapisserie et le présent lui réserve d’inattendues rencontres.
Galerie de femmes
Chez Pascal Thomas, on évite la componction par politesse et, pour autant, il aborde, à la dérobée, c’est-à-dire de la plus élégante des manières, des sujets « graves » tels que la paternité, la maternité, les liens du mariage, les élans du cœur, l’argent, la réussite et les grands auteurs. Il effleure et touche dans le mille. Si le cinéaste feint de s’intéresser au vagabondage de Victor, c’est pour mieux broder une galerie de femmes toutes plus folles, désirables et inoubliables : Constance Labbé est délicatement frivole, Barbara Schulz incarne une superbe emmerdeuse, Anny Duperey se love dans la fourrure d’une tragédienne décalée, Irène Jacob en déshabillé de soie s’avère être une chaudasse très réfléchie, Anouchka Delon pourtant trompée grimpe les côtes aussi bien que Jeannie Longo, Lolita Chammah possède le fantasque érotique des plus grandes et que dire des admirables Stéphanie Crayencour et Maïra Schmitt. Les hommes sont aussi à la parade, Pierre Arditi cabotine avec génie, Louis-Do de Lencquesaing est une tête à claques magistrale, Christophe Bouisse et Christian Vadim tiennent leur rôle au cordeau, nous avons même droit à une apparition burlesque de Laurent Dassault. Pascal Thomas nous offre une « lettre à France » qui a tout d’un « message personnel ».
Le Voyage en pyjama de Pascal Thomas – Sortie nationale 17 janvier 2024
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