François Hollande n’a pas digéré la boulette du collaborateur négligent qui a glissé dans son discours du Bourget une citation attribuée à William Shakespeare, alors qu’elle était tirée d’un roman contemporain écrit par un certain Nicolas Shakespeare[1. « Et je me permettrai de citer Shakespeare, qui rappelait cette loi pourtant universelle : » Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve. » » (Hollande au Bourget). Or, cette citation est effectivement de Shakespeare, mais de Nicholas Shakespeare, journaliste, romancier, biographe, apparenté à William et bien vivant : il est responsable des critiques littéraires du Daily Telegraph. La phrase est extraite de La Vision d’Elena Silves (Albin Michel, 1991) dont le héros, Gabriel, révolutionnaire maoïste, rejoint la guérilla péruvienne du Sentier lumineux. « Il pense, précise l’auteur, que les précédentes révolutions marxistes, menées dans les années 1960, ont échoué parce qu’elles n’avaient pas de rêve. » Il dit sa stupéfaction dans son journal : « Quand j’ai entendu le candidat socialiste me citer, je ne pouvais pas en croire mes oreilles. »].
En conséquence, il a mis en place une task force en charge de lui fournir un stock de citations exactes, pertinentes et percutantes adaptées à toutes les situations qui se présenteront à lui dès son accession à la magistrature suprême.
Dans ce cadre, il nous a fait l’honneur de nous confier la préparation citationnelle de son premier voyage de président de la République, qui le conduira à Berlin pour une rencontre avec Angela Merkel. Il a déjà annoncé qu’il n’allait pas là-bas pour faire allégeance, mais pour obtenir de la chancelière une renégociation du traité européen sur la gouvernance économique signé par son prédécesseur, et obtenir l’accord de l’Allemagne pour lancer une politique européenne de grands travaux.[access capability= »lire_inedits »] Cette rencontre s’annonce donc sportive, la dame n’étant pas du genre à se laisser embobiner par de belles paroles ni fléchir par un bouquet de fleurs de rhétorique.
Pour trouver la faille, il est donc nécessaire de s’appuyer sur des autorités incontestables du patrimoine culturel allemand, avec une petite préférence pour celles relevant de la tradition protestante et prussienne.
D’abord, un conseil : élu le 6 mai, le président Hollande devra éviter de fixer au 8 mai 2012 la date de cette rencontre historique. Les Allemands sont très sensibles aux anniversaires, et celui que nous célébrons en France à cette date n’a pas laissé un excellent souvenir à Berlin.
Il est donc préférable de faire, ce jour-là, ses adieux au bon peuple de Corrèze en allant déposer une gerbe au monument aux martyrs de Tulle.
Il lui faudra également se préparer à un accueil, certes poli, mais dépourvu de toute expression de sentiments d’amitié exubérante : mettre fin à la tradition de la bise publique imposée à Angela par Nicolas Sarkozy surprendra agréablement une chancelière qui n’apprécie que modérément cette intrusion dans sa bulle intime invisible.
On réduira également au minimum salamalecs ainsi que préambules diplomatiques et mondains pour entrer au plus vite dans le vif du sujet. On fera, pour cela, appel à Martin Luther qui estimait que « l’on peut prêcher ce que l’on veut, mais pas plus de quarante minutes ! » Angela, fille de pasteur, sera, l’espace d’un instant, sensible à l’évocation du père de la Réforme, mais fera valoir sans tarder que ce qui est signé est signé. « Pacta sunt servenda »[2. « Les traités doivent être respectés. »], dira-t-elle, car la dame connaît le latin. Ce sera le moment de sortir de sa manche la fameuse phrase d’Otto von Bismarck qui pensait que « ce n’est pas par des discours et des résolutions adoptées à la majorité que les grands problèmes de l’époque peuvent être résolus ». On omettra volontairement la fin de la phrase (« …mais par le fer et par le sang »), car la chancelière aura mentalement complété d’elle-même les propos de son illustre prédécesseur, et compris que François Hollande n’est pas là pour rigoler. Si elle fait mine de ne pas comprendre, on remet une dose de Bismarck : « Moi, je veux faire de la musique de la manière qui me semble bonne, ou ne pas en faire du tout ! » La chancelière devrait alors changer de tactique et chercher à convaincre le président français qu’il n’y pas d’autre solution que de mettre autoritairement à la portion congrue ces cigales du « Club Med » incapables de réfréner leurs pulsions dépensières.
C’est Johann Wolfgang von Goethe qui viendra alors faire la morale à Angela : « Traitez les gens comme s’ils étaient ce qu’ils devraient être, et vous les aiderez ainsi à devenir ce qu’ils peuvent être. » Si elle rétorque que l’auteur de Faust disait aussi préférer l’injustice au désordre, et qu’elle ne saurait tolérer le moindre accroc à la discipline budgétaire des pays de la zone euro, revenir à Goethe : « Perte d’argent, perte légère ; perte d’honneur, grosse perte ; perte de courage, perte irréparable ! » Il sera temps, alors, de mettre sur le tapis le programme de grands travaux européens qui permettrait à l’UE de sortir du marasme et de la récession. La chancelière ne devrait pas manquer de faire une moue indiquant que cette idée ne lui convient pas du tout. Goethe, toujours lui, viendra à la rescousse de François Hollande : « Les idées audacieuses sont comme les pièces qu’on déplace sur un échiquier : on risque de les perdre mais elles peuvent aussi être l’amorce d’une stratégie gagnante.»
On arrive alors à la fin de l’échange. Dans l’hypothèse où Angela Merkel serait restée inflexible, François Hollande mettra fin à la conversation en citant solennellement Hölderlin : « La détresse et l’indigence du monde extérieur font que la plénitude de ton cœur devient aussi pour toi indigence et détresse. » Pour le cas où, grâce à cette utilisation subtile des plus grands sages d’outre-Rhin, le président français aurait amené la chancelière à assouplir ses positions, on se quittera en récitant de concert ces vers de Bertolt Brecht, que l’ancienne écolière de feu la RDA connaît sûrement par cœur : « Vorwärts und nicht vergessen / Worin unsere Stärke besteht! / Beim Hungern und beim Essen / Vorwärts und nicht vergessen / Die Solidarität !
»
« En avant ! Et n’oublions jamais / Où réside notre force ! / Dans la pénurie comme dans l’opulence / En avant ! Et n’oublions jamais / La solidarité ! »[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !