Le Vatican fait donner ses divisions. Quarante ans après l’encyclique Humanæ Vitæ, qui condamnait la contraception, avec le manque de succès que l’on sait, le pape essaie de convaincre par la « science[1. Les guillemets sont indispensables, tant l’étude produite par la Fédération internationale des médecins catholiques est douteuse.] ».
L’Osservatore Romano est le journal officiel du Saint-Siège. C’est lui-même qui le dit et l’on peut avoir quelques raisons de le croire. L’édition du 4 janvier publiait une « étude scientifique » réalisée par la Fédération internationale des médecins catholiques, ayant pour objet la contraception[2. On trouvera l’intégralité de de cette étude sur le site de la Fédération internationale des associations de médecins catholiques. L’auteur est suisse et son document est rédigé en allemand. Il existe aussi un résumé en français, de deux pages seulement, bien moins intéressant. Le site de l’Osservatore romano est hélas dépourvu d’archives et de moteur de recherche, alors si vous n’avez pas lu l’article le jour de sa parution, vous avez très peu de chances de le retrouver. A moins d’un miracle, bien évidemment…]. Son rédacteur en est le docteur Ehmann, médecin suisse qui a rassemblé 78 pages d’arguments, tous à charge. 78 pages de réquisitoire.
Le docteur Ehmann nous emmène au pays de la fantaisie, de la malhonnêteté souvent, de la « fausse science » toujours. Exemple ? La pilule n’est pas un moyen anticonceptionnel, mais un moyen abortif, dixit le bon docteur. Un ovule et un spermatozoïde, c’est déjà un embryon, à partir du moment où les deux se sont unis dans l’utérus. On n’exagère jamais assez. Et l’on a les cheveux qui se dressent sur la tête lorsqu’on lit que la pilule a coûté plus de vies que la seconde guerre mondiale. Pour un peu il nous parlerait du génocide des enfants de Dieu, le docteur Ehmann…
Autres arguments ? La pollution écologique est à la mode, alors allons-y ! Des tonnes d’hormones, d’œstrogènes et de progestérones sont rejetées dans la nature par les femmes. Le docteur Ehmann invente la pollution par le péché et l’urine. Pour ajouter de l’effet à cette découverte « scientifique », il dispose d’une arme fatale, une sorte de vengeance du serpent à plumes : cette pollution de la nature par l’urine diabolique des pécheresses bourrées d’hormones féminise les hommes puisque ceux-ci produisent moins de spermatozoïdes. Dieu devient ainsi darwinien : par l’effet d’une sélection surnaturelle, les populations vivant dans l’erreur et le péché pourraient en fin de compte ne plus se reproduire. C’est ce que l’on conclut en poussant ad ultimum le raisonnement du docteur Ehmann. On rappellera au docteur que quelques tonnes d’hormones reparties sur une aussi grande surface que la terre entrent dans le domaine du non mesurable. On lui rappellera aussi que toutes les hormones sont par nature métabolisables, le corps humain en détruit et en produit constamment pour ajuster les niveaux. Ce qui est métabolisable est aussi, ipso facto, biodégradable, alors circulons, y a déjà plus rien à voir…
Suite du catalogue des horreurs, la pilule favorise certains cancers. Cela, on savait. On le sait tellement que les dosages ont été allégés et que les femmes sont suivies pour cela. Préventivement.
Si l’écologie est une valeur sûre dans le story telling contemporain bien politiquement correct, le droitdelhommisme l’est tout autant. Alors l’Osservatore romano insiste : la contraception est contraire aux droits de l’Homme. Sévère le scud, on en chancelle. Voici, pour les activistes qui voudraient se mobiliser, la liste des droits imprescriptibles foulés au pied : droit à la vie, droit à la santé, droit à l’éducation, droit à l’information et droit à l’égalité des sexes.
Pour ceux qui ne peuvent pas se passer d’unions charnelles, sanctionnées par une naissance, l’Osservatore rappelle qu’il existe des méthodes de contraception naturelles et que les impatients feraient bien de s’y tenir : « la sessualità è un dono meraviglioso di Dio ai coniugi ». C’est beau comme de l’italien… Pour ceux qui n’ont pas cette intuition de manière naturelle, l’Eglise s’attachera à leur donner une formation afin que naissent chez les époux des « abitudini corrette » qui rendront « la vita piu facile ». Ad majorem dei gloriam… On se demandera pourquoi, si les méthodes naturelles sont aussi efficaces, les femmes préfèrent la pilule. Peut-être pour ne pas gagner un enfant de Dieu au Loto-Ogino.
On pourrait continuer à peigner ce pauvre argumentaire ad nauseam, cela ne servirait pas à grand-chose sauf à convaincre encore plus que la science est absente de ce texte. Sachez seulement que toutes les méthodes anticonceptionnelles y sont examinées, rejetées et condamnées. Le stérilet aussi, ainsi que même certains vaccins qui ont pour effet secondaire provisoire d’interrompre l’ovulation.
La femme est une pécheresse donc, et Satan l’habite. On se dit que les rédacteurs de cette étude n’aiment pas les femmes. Elles sont juste le « vase », réceptacle de la semence divine déposée mandatairement pour le Très-Haut par les mâles grâce à leur bâton de Moïse qui sait se transformer en serpent post coïtum. Cela soulève la question de savoir pourquoi le catholicisme et, à des degrés divers, toutes les religions, ont un tel mépris envers les femmes. Je n’ai pas de réponse, je pose juste une question.
D’autres questions et réflexions surgissent de la lecture de ce texte : d’abord il est politiquement correct, écrit ad causam et ne prouve rien, peut-être tout simplement parce qu’il n’y a rien à prouver. Ce texte rappelle les centaines de milliers de pages produites par des « savants » marxistes qui prouvaient de manière maniaque que le marxisme était une science, d’où naîtrait le socialisme réel, et que, comme l’avenir de l’humanité et de son bonheur étaient scientifiques, on avait le droit de l’imposer, pour la bonne cause. Comme toujours. La Pravda, une sorte d’Osservatore Moscovo, regorgeait de ces « démonstrations scientifiques », dont on sait qu’après avoir produit des millions de morts, elles se sont écroulées, victimes de leurs contradictions.
Il est permis aussi de se demander à quoi sert cet exercice ridicule et à vrai dire blessant pour la raison. Le pape est un chef religieux. Basta ! Il est catholique et infaillible. Il peut donc se permettre d’interdire la contraception au nom de Dieu. Il n’a même pas à se justifier. Alors pourquoi ce salmigondis scientifique parfois ridicule, rarement comique, toujours inquiétant ? Après tout, Dieu et son porte-voix infaillible n’ont qu’à s’assumer. L’Eglise est une théocratie régulière, elle se dément en chassant et braconnant sur les terres séculières.
Texte paru sur Homoimbecillus, le carnet de Gérard Scheer.
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