La carte postale de Pascal Louvrier (5/6)
C’était un soir d’orage. Les éclairs lacéraient le ciel. Il se mit à pleuvoir de grosses gouttes qui frappaient le toit de lauze. Je finissais de regarder Tromperie d’Arnaud Desplechin, d’après le roman éponyme de Philip Roth (1933-2018), avec Denis Podalydès dans le rôle de Roth et Léa Seydoux dans celui de l’amante anglaise, bouleversante de sensualité, d’une sensualité anticonformiste, je précise.
Injustice du Nobel
Au-delà de l’adultère, on retrouve l’un des thèmes privilégiés de l’écrivain : mentir pour éclairer la vérité. La littérature étant l’un des moyens de la placer sous la lumière. Son œuvre, qui aurait mérité de recevoir le prix Nobel, possède cette cohérence-là. Un heureux hasard fait que je possède dans ma retirance limousine le livre de Josyane Savigneau, Avec Philip Roth, paru en 2014. Savigneau fut longtemps responsable du « Monde des livres ».
Je la lisais toujours avec intérêt, même si parfois je n’étais pas d’accord avec ses critiques. Comme je lisais les articles de Philippe Sollers, son ami. Les deux compères possèdent cette qualité d’aimer profondément la littérature et de proposer un angle nouveau, ce qui est rare quand on évoque Céline, Joyce, Hemingway, Carson McCullers, pour ne citer qu’eux. Dans son essai littéraire, Savigneau n’hésite pas à utiliser le je, ce qui me paraît passionnant car il permet une confrontation entre l’essayiste et son sujet. Ici, c’est croustillant, car Savigneau explique que sa première rencontre avec Roth s’est mal passée.
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Contre le politiquement correct et l’appauvrissement de la langue
C’était en 1992, à New York. Il faut dire que Roth n’a jamais porté dans son cœur les journalistes, comme le rappelle Savigneau qui cite un extrait d’Exit le fantôme (2007). Roth et Savigneau ont fini par se revoir, à plusieurs reprises, pour le plus grand plaisir de l’esprit. Avec Philip Roth revisite ses grands romans qui, en réalité, ne composent qu’un seul grand livre. L’ancienne journaliste nous invite à les lire ou les relire. En ces temps où la littérature disparaît, faute de lecteurs, cet essai est un réel déchirement pour un Français qui sait ce qu’il doit aux écrivains. Et si la littérature disparaît, c’est aussi parce qu’elle est hautement contaminée par le politiquement correct, d’une part, et l’appauvrissement de la langue, d’autre part.
Dans La Bête qui meurt (2001), Savigneau exhume ce passage : «Le désordre du monde est un désordre sous surveillance, ponctué d’entr’actes pour vendre des voitures. La télé fait ce qu’elle sait faire de mieux : elle accomplit le triomphe de la banalisation sur la tragédie, le triomphe du superficiel (…). » L’essayiste répond également avec pertinence aux accusations dont fut victime l’écrivain américain : le scandaleux qui a pourtant osé aborder de front la question sexuelle ; le soi-disant « mauvais juif » ; sa supposée misogynie. Dans Tromperie (1990), Roth répond à cette tenace et pernicieuse accusation : pourquoi interpréter « le portrait d’une seule femme comme un portrait de toutes les femmes ? »
Lors de leur premier entretien, Philip Roth jouait avec un trombone. Il lança soudain au journaliste : « Quand on aura terminé, je vous le jetterai à la figure». Réponse de Savigneau : « Ça tombe bien, je suis fétichiste. » Le test était réussi. Comme son essai.
Josyane Savigneau, Avec Philip Roth, Gallimard, 2014.