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Le triomphe des impostures intellectuelles

Un essai indispensable pour comprendre l’origine du wokisme


Le triomphe des impostures intellectuelles
Les chercheurs James Lindsay, Helen Pluckrose et Peter Boghossian © Mike Nayna

Le langage est violent ! La science est sexiste ! Le sexe biologique n’existe pas ! Seuls les blancs peuvent être racistes ! Vous avez forcément entendu un de ces lieux communs woke dans la bouche d’un ami progressiste, d’un homme politique français d’extrême gauche ou d’un journaliste de Radio France. Dans Le triomphe des impostures intellectuelles, les chercheurs Helen Pluckrose et James Lindsay nous expliquent comment de telles âneries sont peu à peu devenues crédibles, et comment répliquer à tous ces déconstructeurs.


Dans leur essai, Le triomphe des impostures intellectuelles, les chercheurs Helen Pluckrose et James Lindsay analysent “comment les théories sur l’identité, le genre, la race gangrènent l’université et nuisent à la société”.

Rois du canular

Rappelons d’abord que Helen Pluckrose et James Lindsay participèrent il y a trois ans à un formidable canular qui fit grand bruit : imitant la “réflexion” et le sabir universitaires des promoteurs des théories sur le genre, la race, le féminisme, etc., nos chercheurs envoyèrent à des revues de référence des articles bidonnés et délirants qui reçurent pourtant les compliments des comités de lecture desdites revues. La revue Gender, Place and Culture plaça parmi ses 12 meilleures publications celle de nos facétieux chercheurs sur la « culture du viol canine » qu’ils avaient, disaient-ils, pu analyser dans les parcs à chiens de Portland en inspectant les parties génitales de 10 000 chiens tout en interrogeant leurs propriétaires sur leur sexualité. Dans un autre article intitulé « Passer par la porte de derrière : défier l’homo-hystérie masculine et la transphobie à travers l’usage de sex-toys pénétratifs », H. Plukrose et ses acolytes préconisaient d’encourager l’auto-pénétration des hommes par voie anale avec des sex-toys pour vaincre l’homophobie et la transphobie. Un universitaire de la revue Sexuality and Culture qualifia cet article de « contribution incroyablement riche et excitante à l’étude de la sexualité et de la culture ». Démonstration par l’absurde de la vacuité de certaines théories fumeuses parfaitement réussie.

Beaucoup plus sérieusement, Plukrose et Lindsay s’attaquent dans leur essai aux mêmes impostures intellectuelles constituant pour l’essentiel ce qu’on appelle aujourd’hui le wokisme. Issus de la Théorie postmoderne des années 60 qui trouvait ses racines dans les travaux des penseurs de la « French Theory » (Foucault, Derrida, Lyotard, entre autres), les principes qui président ce mouvement sont, premièrement, un scepticisme radical quant à la possibilité d’accéder à une vérité objective et, deuxièmement, la croyance que toute la société est exclusivement organisée autour de rapports de domination et d’oppression.

Comment identifier une idée woke

Les auteurs décrivent les quatre thèmes essentiels de cette Théorie postmoderne :

1) Le brouillage des frontières (objectif/subjectif, vérité/croyance, humain/animal, sexe/genre, etc. Les notions d’ambiguïté, de fluidité et de « trouble » en découlent, en particulier dans les théories post-coloniale et queer).

2) Le pouvoir du langage (qui mènera des années plus tard à l’écriture inclusive ou au pronom « iel », à une novlangue universitaire obscure, à celle du politiquement correct, à de nouveaux syntagmes comme « racisé », « privilège blanc », « hétérocentrisme », etc.)

3) Le relativisme culturel (réévaluation constante des productions artistiques ou intellectuelles anciennes ou récentes  à l’aune de ces seules théories).

4) L’abandon de l’individu et de l’universel (pour ne se préoccuper que des « petits groupes » ou minorités considérées comme seuls vecteurs de valeurs et de connaissances).

On aura aisément reconnu certains traits caractérisant les mouvements déconstructionnistes actuels.

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S’ils ne dédouanent pas totalement la Théorie postmoderne des années 60/70, les auteurs considèrent qu’elle relevait plus d’un jeu intellectuel que d’un un acte militant : « Les premiers Théoriciens (postmodernes) n’avaient grosso modo aucun but et se servaient de l’ironie et du ludisme pour renverser les hiérarchies et perturber ce qu’ils considéraient comme des structures injustes de pouvoir et de savoir. » Ils semblent toutefois minorer l’enracinement spécifiquement américain de ce mouvement aboutissant à ce qu’Allan Bloom [1] appelle le principe « d’ouverture » (à tout, à tous, à n’importe quoi qui s’oppose au savoir ou qui « libère de l’autorité » jusqu’au moment où « l’ouverture consistait à “faire son porte truc” »), principe élevé comme valeur suprême aux sein de la démocratie américaine et évacuant toute idée de traditions et de transmission, préparant ainsi le terrain au “déconstructionnisme”. Les penseurs de la French Theory ont trouvé aux États-Unis le lieu idéal pour l’application étendue à la société entière de ce que Bloom constate dès les années 60 dans l’université, à savoir des enseignants n’exigeant plus rien de leurs étudiants, le « développement personnel » se substituant au savoir universitaire, et les récriminations des minorités victimaires remplaçant tous les apprentissages nécessaires à une véritable instruction. De plus, Bloom note que s’il ne peut plus y avoir de religion (Nietzsche), l’impulsion religieuse demeure : « Plus de religion, donc, mais de la religiosité. » Et, de fait, certains campus universitaires ressemblent de plus en plus à une concentration de sectes religieuses intransigeantes, agressives, puristes et punitives.

Vérités péremptoires et pseudo-scientifiques

Au contraire de ce que prétendent certains, le phénomène wokiste qui découle directement de la Théorie postmoderne n’est ni inexistant, ni anodin. On le retrouve aujourd’hui dans tous les endroits stratégiques, l’université en premier lieu. Dans ce fourre-tout appelé “Justice sociale”, les théoriciens woke établissent des “vérités” péremptoires et pseudo-scientifiques sur le « privilège blanc », le « racisme systémique », la « culture du viol », etc., rendant ainsi la déconstruction du monde occidental non seulement souhaitable mais, selon eux, absolument nécessaire à l’émancipation de tous les « opprimés ». Le wokisme est en réalité un appareil révolutionnaire qui permet à des minorités de tyranniser et de s’imposer dans les lieux de pouvoir et de savoir : « Il faut avoir un peu de cran pour s’opposer à une idéologie aussi puissante. » Les réactions outrées de certains de nos universitaires ou journalistes face à la dénonciation des dérives wokistes sont là pour en témoigner. L’idéologie wokiste, abstraite et totalitaire, ne parvient pas « à d’autres conclusions que les affirmations simplistes voulant que les hommes blancs hétérosexuels soient injustement privilégiés, qu’ils doivent se repentir et finalement laisser la place aux autres. »

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Le wokisme se répand dans toute la société : de plus en plus prégnant dans le monde de l’éducation ou celui de la culture, il a fait son apparition dans des entreprises organisant des stages « pour la diversité » ou contre l’homophobie ; au moment de quitter le Parti des Indigènes de la République Houria Bouteldja a pu dire sa satisfaction de voir les thèses décolonialistes s’imposer « dans toutes les universités et les milieux antiracistes » ; les GAFAM et l’industrie du cinéma (Netflix en tête) sont noyautés par le wokisme. Les représentants de l’extrême-gauche ont historiquement été les idiots utiles de la plupart des totalitarismes, ils ne pouvaient pas rater celui-là. Jean-Luc Mélenchon vient de déclarer qu’il voulait que la « liberté de genre » soit inscrite dans la Constitution : « Si c’est votre intime conviction, que vous êtes une femme ou un homme, vous avez le droit de l’affirmer contre la réalité des apparences et de votre corps. Et la société, la seule chose qu’elle peut espérer, c’est que vous soyez bien dans votre peau, dans votre rôle, dans votre genre. » Avis à tous ceux qui se prennent, contre la réalité des apparences et de leurs corps, pour une tortue, une scie sauteuse ou une carotte : Monsieur Mélenchon est prêt à leur donner entière et constitutionnelle satisfaction, car la société, la seule chose qu’elle peut espérer, c’est que vous soyez bien dans votre peau (de tortue, de scie sauteuse ou de carotte).

Ridiculiser le wokisme avec ses propres armes

Wokisme rime souvent avec délire, écrivent en substance Plukrose et Lindsay. Exemple (qui aurait pu être un de leurs canulars et qui n’en est pas un) : Dan Goodley, professeur travaillant sur le « validisme », demande aux handicapés de ne pas chercher à se rapprocher des normes « valides » (en refusant les traitements ou les prothèses, par exemple) afin de… subvertir les normes sociales et d’échapper à « l’autonomie, l’indépendance et la rationalité [qui] sont des qualités souhaitées par le système néolibéral validiste ».

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Comme Helen Pluckrose et James Lindsay, n’hésitons pas à recourir parfois à la plaisanterie : Jean-Luc Mélenchon transformé en spécialiste du genre, Rama Yade se sentant “micro-agressée” par la statue de Colbert ou Sandrine Rousseau déconstruisant son mari et ses privilèges de bourgeoise blanche, avouons quand même qu’il y a de quoi se marrer. Cet essai passionnant permet de combattre le wokisme, soit en l’abordant de front avec de solides raisonnements, soit en le ridiculisant avec ses propres armes car « la moquerie est quelquefois plus propre à faire revenir les hommes de leurs égarements, et elle est alors une action de justice » [2] ; même si, les “éveillés” ne supportant aucune contradiction et toute moquerie leur étant une « offense », il sera difficile de les ramener sur le chemin de la raison : « Il y a des personnes si peu raisonnables, qu’on n’en peut avoir de satisfaction, de quelque manière qu’on agisse avec eux, soit qu’on rie, soit qu’on se mette en colère » [2]. Qu’importe, il nous faut continuer de dénoncer le totalitarisme woke de toutes les façons possibles.


[1] Allan Bloom, L’âme désarmée, essai sur le déclin de la culture générale, Les Belles Lettres.

[2] Pascal, Les Provinciales, onzième lettre.

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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