Des pans entiers du territoire sont livrés à des populations immigrées qui n’ont que faire de la République et de ses lois et qui, au jeu de la natalité, sont plus fortes que les « de souche ». Ces dernières fuient des quartiers où règne un ordre moral et social extra-européen face auquel les « Blancs » ne peuvent pas lutter.
L’étude de France Stratégie portant sur la place des enfants d’immigrés extra-européens (0-18 ans) dans les diverses portions du territoire français fait sensation. Beaucoup découvrent que ceux-ci sont majoritaires dans la moitié des communes de Seine-Saint-Denis, représentent jusqu’à 75 % de leur génération dans certaines d’entre elles, telle La Courneuve, et atteignent 84 % dans certains quartiers. Ce département n’est pas le seul concerné. À Paris intra-muros, le même pourcentage peut atteindre 50 % dans le 19e considéré dans son ensemble et 72 % dans le quartier le plus affecté. Plus étonnant encore pour beaucoup, cette domination, qui s’est construite en quelques dizaines d’années seulement, est loin d’être négligeable dans des parties de nombre de villes de province. Pour expliquer cette situation, des théories plus ou moins fantaisistes fleurissent, imaginant de vastes complots. La réalité est beaucoup plus simple, et plus inquiétante. Elle relève de ce qui se passe spontanément, sans que personne ne l’ait orchestré, quand des populations différentes, ayant des cultures différentes, sont amenées à coexister sur un même territoire.
Compétition entre manières différentes de vivre
Pensons aux analyses de Pierre Bourdieu, peu suspect de sentiments anti-immigrés, dans La Misère du monde. Il évoque particulièrement ceux qui, résidant sur des territoires aux populations mêlées, sont idéologiquement les plus favorables à cette mixité. Il note que « tout tend à montrer que les traditions et les convictions internationalistes et antiracistes qu’ils ont acquises à travers leur éducation et leurs engagements politiques […] et qui sont renforcées par la condamnation officielle de la discrimination et des préjugés raciaux, sont mises à rude épreuve, au jour le jour, par la confrontation avec les difficultés réelles de la cohabitation ». Ainsi, il évoque divers témoignages, tels « celui de cette vieille militante socialiste qui, surtout l’été, et en période de fête, ne peut plus supporter les bruits et les odeurs de l’immeuble auquel elle se sent enchaînée, ou celui de ce couple de vieux militants communistes qui, pour les mêmes raisons, ont dû déménager, la mort dans l’âme, avec le sentiment de manquer à toutes leurs convictions [1] ». Explorant, plus largement, un certain tragique du quotidien, il se propose de « comprendre ce qui se passe dans des lieux qui, comme les “cités” ou les “grands ensembles”, et aussi nombre d’établissements scolaires, rapprochent des gens que tout sépare, les obligeant à cohabiter, soit dans l’ignorance et l’incompréhension mutuelle, soit dans le conflit, latent ou déclaré, avec toutes les souffrances qui en résultent [2] ».
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Que se passe-t-il quand, sur un certain territoire, les immigrés extra-européens tiennent une place suffisante pour imposer leur manière de gérer l’espace public avec les comportements et les tenues qui y font référence, ou encore les niveaux sonores qui y sont considérés comme admissibles ? Les Français « de souche » le quittent massivement. Les immigrés le constatent eux-mêmes, et certains s’en plaignent. Les réactions de mères d’élèves de deux écoles primaires et maternelles de Montpellier, qui ont défrayé la chronique, illustrent une telle situation : « En classe, protestent-elles, on voudrait des petits blonds avec nos enfants. » L’évolution du quartier est déplorée. « Avant, c’était mieux, relate l’une des mères, interrogée par Libération. Il y avait une église, un boulanger, un tabac-presse… Des Asiatiques, des Africains, des Français, d’autres gens vivaient ici. Les instituteurs habitaient le quartier. Et puis ces gens-là ont déménagé : on n’a pas fait attention mais, peu à peu, il n’y avait plus que des Marocains. » On ne trouve aucune interrogation chez les intéressées sur les raisons pour lesquelles ces déménagements se sont produits. Celles qui mènent le mouvement se présentent vêtues d’une stricte tenue islamique, ce qui suggère une forte emprise de l’islam sur le quartier concerné. Pourtant, une telle emprise n’est évoquée à aucun instant pour expliquer la désertion de populations qui refusent de vivre dans un paysage social à dominante islamique.
Dans les reportages portant sur ces quartiers, on entend souvent des personnes âgées déclarer que, malgré tout, elles ne quitteront pas un lieu auquel elles sont attachées, qu’elles arrivent à s’en accommoder. Mais adopter cette attitude est beaucoup plus difficile pour des parents de jeunes enfants ou d’adolescents. Pour ceux qui ne sont pas prêts à accepter une forme de contre-assimilation, poussant leurs enfants à adopter les codes dominants chez les jeunes de leur quartier issus de l’immigration, parfois à se convertir à l’islam, il faut décamper. Et ceux qui, parmi les immigrés extra-européens et leur postérité, entendent devenir des Français comme les autres décident souvent de faire de même.
Mais pourquoi, dans la compétition entre manières différentes de vivre au sein d’un territoire, est-ce très vite les « Blancs » qui ont le dessous et doivent partir ? C’est qu’ils sont infiniment moins bien armés que les immigrés extra-européens pour s’imposer. Ces derniers viennent de sociétés où la pression de la communauté sur chacun de ses membres est intense. Les pratiques d’intimidation, d’ostracisme, voire de contrainte physique visant à mettre au pas ceux qui tendent à s’affranchir de la loi du milieu, font partie du fonctionnement usuel de la vie sociale. Cette pression communautaire est beaucoup moins forte dans des sociétés individualistes telles que les sociétés européennes. C’est tout spécialement le cas dans la société française où l’on ne compte guère que sur l’État pour contrôler les comportements. De plus, l’action des pouvoirs publics tend à entraver, au nom du refus des discriminations, toute pression sociale favorisant une adoption des us et coutumes français ; on le voit bien par exemple pour la protection légale dont jouit le port d’une tenue islamique. Par contre, cette action publique ne se soucie nullement d’entraver les pressions communautaires hostiles à une telle assimilation. Dans ces conditions, on peut comprendre qu’à partir d’un certain niveau, qui n’a pas besoin d’être très élevé, de présence des immigrés extra-européens sur un certain territoire, le rapport de forces tende à basculer. Émergent alors les « territoires perdus de la République » (Georges Bensoussan) et les « territoires conquis de l’islamisme » (Bernard Rougier).
L’affaire Samuel Paty, révélatrice
Ce type de dynamique des populations est bien connu par les sciences sociales et a été, en particulier, très étudié aux États-Unis. Comment se fait-il que si nombreux soient, en France, ceux qui sont étonnés d’en constater les effets ? Contrairement à de nombreux pays marqués par une tradition de coexistence entre groupes ethnoculturels distincts vivant largement sur des territoires séparés, la France a cultivé pendant longtemps un idéal d’assimilation. Il s’est agi de créer un peuple formé indistinctement d’individus d’origines diverses, mais tous transformés en « vrais Français » partageant les mêmes us et coutumes. La réussite de cette assimilation a permis que la société ne soit pas composée de diasporas unissant ceux qui, ayant les mêmes racines, entendent conserver au maximum les us et coutumes du pays d’origine au sein d’un territoire qu’ils dominent. C’est par une sorte d’égarement de l’esprit que la référence officielle est maintenant une société qui, tout en devenant multiculturelle, à l’image des États-Unis, conserverait le mélange des origines de la France assimilationniste.
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Faute de comprendre ce qui se passe, beaucoup affirment que cette domination croissante sur certains territoires de populations issues de l’immigration extra-européenne est le fruit de politiques de relégation de ces populations. Celles-ci sont présentées comme des victimes alors qu’en fait elles sont les gagnantes dans une compétition pour le contrôle de portions du territoire. On va jusqu’à parler de ghettos, d’apartheid, de bantoustans, etc., alors qu’il serait plus approprié d’utiliser les images de concessions (au sens des concessions dont ont bénéficié à une certaine époque plusieurs pays européens en Chine), voire de places fortes.
Face à la Chine, au Moyen-Orient, l’Occident est en train de découvrir cruellement combien étaient grandes ses illusions quand il croyait convertir le monde à ses valeurs et à sa façon de vivre. Il est en train de se rendre compte qu’il est condamné à choisir entre se défendre (face à la Chine) ou battre piteusement en retraite (face aux talibans). Que va-t-il faire maintenant que ces populations qu’il n’a pu convertir sont massivement présentes chez lui ? Et qu’en est-il en particulier en France ? On ne peut qu’être frappé par les hésitations du chef de l’État dans l’élaboration d’une stratégie face à ce qu’il a d’abord qualifié de « séparatisme islamiste ». L’impression a prévalu pendant quelque temps d’une volonté de lutter avec fermeté contre ce séparatisme. Le meurtre de Samuel Paty et le lien qui est apparu clairement à cette occasion entre le terrorisme islamiste et une vaste nébuleuse en rupture avec la société française ont alimenté cette volonté. Mais, l’émotion passée, la démarche paraît hésitante. C’est que les obstacles à surmonter pour tenter de renverser la tendance sont énormes.
Nos institutions, notre droit se sont construits en cohérence avec l’image d’une société de citoyens attachés à la République et à ses valeurs, dont il convient de protéger les libertés, spécialement quand ils appartiennent à des minorités. Il s’agit de mettre celles-ci à l’abri de toute forme de discrimination. Les pays européens qui, telle la Hongrie, respectent mal cet impératif sont cloués au pilori. Un problème majeur est que ce respect des minorités au sein de la République est mis en avant pour protéger ceux qui, tout en demeurant sur le territoire national avec tous les droits des citoyens, n’ont nullement une éthique de citoyens. Ils entendent rester fidèles à leur culture d’origine, même quand ses orientations sont incompatibles avec les principes de la République, telle la liberté de conscience, et n’ont que faire des lois non écrites qui forment le socle de la vie sociale. Quel statut juridique donner à cette manière d’être ?
Le thème de la chute de l’Empire romain revient actuellement à la mode et la thèse selon laquelle une ouverture inconsidérée aux « barbares » a joué un rôle central dans cette chute est à nouveau discutée. Allons-nous faire en sorte de n’être pas concernés ?
Dernier ouvrage paru, Islamophobie, intoxication idéologique, Albin Michel, 2019.
[1]. Pierre Bourdieu, La Misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, p. 21. La première personne citée est sans doute « Maria D. », dont les propos sont rapportés et analysés pages 101 à 114.
[2]. Ibid., p. 9.