Le monde occidental a développé un rapport à la guerre dénué de nuance. L’apaisement à tout prix, dont la responsabilité reviendrait aux partisans de la paix, est l’illusion que vient révéler la guerre entre le Hamas et Israël.
L’identité libertaire incarnée par l’Occident boit la tasse dans un monde où elle n’est qu’une identité parmi d’autres. La croyance qu’un monde de paix est le monde dans lequel il faut vivre, n’est pas une croyance unanime et la douleur du monde occidental à prendre acte de cette réalité lui est intime, causée par ses propres traumatismes et d’un relent d’impérialisme de l’esprit. Car si revendiquer une pensée unique sur les notions de bien et de mal relève d’une forme traditionnelle d’impérialisme, combler les lacunes profondes de compréhension du mécanisme de pensée d’une autre civilisation par auto-identification est un piège moderne dans lequel les peuples occidentaux semblent aujourd’hui s’enfoncer, à leurs risques et périls.
La guerre entre Israël et le Hamas éclaire d’une lumière brutale l’état du monde occidental. L’ère des réseaux sociaux où la propagation de tout et n’importe quoi se fait à la vitesse de l’éclair est le nouveau nid de sentiments violents, creusant les clivages toujours plus profondément. Certains revendiquent le désir d’unanimité, d’autres voient leurs nuances étouffées, et quelques-uns tentent de rétablir des vérités dans un contexte chaotique.
Notre perception de la guerre a changé récemment
Et tandis que le Moyen-Orient voit plutôt clair dans les idéologies qui s’y confrontent, le tumulte occidental, entre manifestations violentes, leçons données au doigt mouillé et politiques d’apaisement menant au financement du terrorisme, laisse perplexe.
D’où vient ce traumatisme lié à la guerre ? Car la guerre est inhérente à toutes les civilisations et ce n’est que très récemment que sa perception a évolué en Europe. Pendant longtemps, elle était une source de fierté, un art théorisé au cœur de l’histoire des nations. Historiquement, l’initiation d’une guerre en Europe n’a jamais servi d’autre but que celui d’étendre une idéologie à un territoire. Cette réalité a toujours été au coude à coude avec l’évolution sociale, prenant des tournants historiques avec les Lumières, Calvin, le romantisme, les Révolutions conduisant à des changements profonds de perceptions. Peu à peu, l’humain a pris la place de Dieu au centre des considérations sociales. Après les abominations de la Deuxième Guerre mondiale dont le monde européen a été acteur et témoin, celui-ci s’engage à abandonner la guerre. Épuisé par le siècle écoulé, mais aussi relativement rassasié par ses accomplissements technologiques et son accès aux ressources naturelles permis par la colonisation, le monde européen engage sa renaissance autour d’une coopération qui, puisqu’économique, se veut saine et engageante. Pour autant, la décolonisation ne se fait pas par bonté d’âme, rappelant que l’impérialisme ne s’effondre pas en un jour. Des décennies de guerres de décolonisation laisseront à l’Occident un goût de honte et de dégoût à l’origine de son traumatisme menant peu à peu à la confusion idéologique actuelle.
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L’Union européenne, si elle a réussi l’exploit de reconstruire sur des cendres, a oublié que la guerre restait une réalité du reste du monde. L’Occident s’enfonce involontairement dans ses propres mécanismes, réclamant un monde pacifié aux idéaux uniformes, oubliant qu’il lui a fallu deux millénaires pour adopter cet idéal. Deux millénaires de guerres au prix du sang de son propre peuple et de révolutions intellectuelles initiées, elles aussi, par son propre peuple. Aucune douleur ou croyance idéologique ne peut être imposée à d’autres civilisations aux croyances différentes.
Ainsi, l’Occident infantilise le conflit Israël-Hamas, appelant à sa fin sans trop préciser laquelle et en agitant l’index dans toutes les directions, au lieu de s’inquiéter du contexte dans lequel elle s’inscrit. Car cette guerre n’est pas un épiphénomène mais le résultat d’une stratégie d’influence d’ampleur menée depuis des années par la République islamique d’Iran. L’idéologie des Frères musulmans est très vivante, et vise à faire renaître de ses cendres l’empire du Califat, en conquérant des territoires pour instaurer des régimes dictés par la charia, et ce au nom de Dieu. L’Occident, peinant à concevoir une idéologie conquérante au nom de Dieu, la marginalise, servant ainsi la cause du conquérant.
Peu d’écho en Occident au mouvement “Femme, Vie, Liberté”, malheureusement
À l’heure où la confusion idéologique est à son maximum, où des débats sordides s’ouvrent en permanence sur autant de mensonges qu’il existe de faits historiques et contemporains, on pourrait s’attendre à un sursaut non équivoque des défenseurs de la liberté.
La République islamique d’Iran est un régime qui fait régner la terreur au sein de son peuple jour après jour. Exécutions arbitraires, pendaisons, torture, coups de fouet sont infligés à ceux qui ont le malheur de ne pas se plier aux lois liberticides. Son idéologie sanguinaire ne représente pas son peuple. Depuis la mort de Jina Mahsa Amini, le cri du peuple iranien résonne plus fort avec le mouvement “Femme, Vie, Liberté” et pourtant, ce cri ne trouve que peu d’écho dans les politiques occidentales. Pourquoi ? L’acceptation de l’idéologie conquérante semble acceptée uniquement lorsqu’elle reste cantonnée au Moyen-Orient, une région pour qui l’Occident n’a que de faibles attentes, laissant ainsi les peuples d’Iran, du Yémen, du Liban et de Syrie face à leur sort.
Parallèlement, Israël ne peut pas se permettre le luxe de vivre dans le déni des menaces existentielles ni celui d’adopter un idéal démilitarisé, puisque son existence et celle de la survie du peuple juif en dépendent. N’oublions pas que l’attaque du 7 octobre dernier survient quelques semaines avant ce qui aurait dû être l’accord de paix historique entre Israël et l’Arabie Saoudite. Cet accord aurait porté un coup ultime à la légitimité de la République islamique d’Iran et aurait affaibli encore davantage sa capacité à rester au pouvoir.
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On retiendra avec quelle efficacité la guerre entre le Hamas et Israël est venue faire rayonner les points faibles de l’Occident, laissant planer le doute sur sa posture de gardien des libertés. Tandis que la Jordanie et Israël procèdent à des attaques ciblées contre les bases liées à la République islamique d’Iran et ses proxies, avec les récentes frappes au Liban et en Syrie menant respectivement à l’élimination d’un haut commandant du Hezbollah, du numéro 2 du Hamas et de trafiquants de drogues liés à l’Iran, la prise de mesures par l’Occident se fait elle, toujours attendre. Au contraire, on observe tristement que l’utilisation d’otages comme outils commerciaux et actifs monétaires, semble être une stratégie qui continue d’être confortée. Depuis le 7 octobre, des milliards de dollars ont été débloqués en faveur de la République islamique d’Iran via la levée de sanctions[1], allant à contre-courant de ce qui devrait être la mise en place de stratégies fermes pour la survie des idéologies portées par l’Occident.
[1] https://www.foxnews.com/politics/critics-slam-biden-admin-waiver-gives-iran-access-10-billion-fund-absolutely-outrageous
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