François Darras devra garder une tombe vide pendant trente ans.
Au printemps 2019, ce Bourguignon se recueille sur la sépulture de son oncle au cimetière de Fougères (Bretagne) avec sa mère Marie-France. Loin d’oublier les morts de la famille, ils décident ensemble de profiter de leur séjour en Bretagne pour renouveler la concession de son oncle pour trente longues années. Le contrat est fait au nom de Marie-France. Le 3 octobre 2019, cette dernière rend l’âme et est inhumée dans le caveau familial. Conformément à ses souhaits, elle y est rejointe par les ossements de son frère, qui y sont transférés trois jours après. Un regroupement familial qui laisse l’emplacement K11-07-17 vacant. Esseulé mais confiant, François Darras souhaite rétrocéder la demeure inoccupée, dont le chèque de 300 euros de renouvellement du bail a été encaissé durant l’été. Mais Louis Feuvrier, le maire de Fougères ne l’entend pas de cette oreille: « Les héritiers ne peuvent procéder à une rétrocession car ils doivent respecter le contrat passé par le titulaire de la concession, en l’occurrence, Madame Darras », argue-t-il dans une lettre écrite en juillet 2020. « Le concessionnaire doit être en vie pour opérer la rétrocession », souligne-t-il aussi. À ce stade, il ne resterait qu’à réveiller Madame Darras pour lui faire signer un nouveau contrat….
« Le chèque n’aurait dû être encaissé qu’à la date du renouvellement de la concession. Il est ridicule que l’administration n’arrive même pas à comprendre ça », deplore François Darras. En effet, le renouvellement de la concession inoccupée devait prendre effet début novembre 2019 mais le chèque a été encaissé par la mairie de Fougères le 14 juin 2019. Il y a dix jours, François Darras a averti Causeur qu’il s’apprêtait à braver les 10 km de déplacement et à retourner en Bretagne. Pour tenter d’inculquer un peu de bon sens au mur administratif? « Pour décorer la tombe d’une façon choquante mais décente afin de les embêter. À part la notion de décence, vous pouvez faire ce que vous voulez. Mais quelle est la définition de la décence ? Dans le même cimetière, j’ai vu une tombe de six mètres de haut par exemple. Dans ces conditions, rien n’interdit de mettre des pneus, un drapeau breton, une éolienne avec une crécelle », s’est-il alors amusé sans rien promettre. La semaine dernière, il a mis en œuvre son projet de décoration funéraire, lequel n’est pas du goût du maire. Ce dernier lui a envoyé un courrier dans lequel il lui a demandé d’enlever son « ensemble d’objets hétéroclites non respectueux du lieux […] dans un délai de 48 heures, faute de quoi les agents du cimetière y [procéderaient] ».
Accomplissement artistique ou création indécente ? À chacun d’en juger.
Que dit le droit funéraire? En réponse à la question d’une députée en 2016, le ministère de l’Intérieur écrivit que « les dispositions législatives en vigueur permettent à la commune, s’il s’agit d’une concession perpétuelle, de reprendre la concession ». Si jamais les bureaucrates arrivent à réveiller Marie-France Darras de sa tombe pour mettre fin au contrat, qu’ils fassent de même pour Franz Kafka afin qu’il tire une nouvelle de cette énième chinoiserie administrative. |