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Le théorème du chat mort


Le théorème du chat mort

Tel l’équipage de Christophe Colomb, nous scrutons l’horizon pour tenter d’apercevoir les lueurs de la fameuse « reprise », notre passage vers les Indes à nous. Mais à force de fixer les yeux sur la ligne bleue de l’horizon, certains croient voir au loin des cimes enneigées et d’autres prennent les albatros pour des cormorans. Si le moral des troupes est un paramètre essentiel dans l’équation compliquée de la gestion de la crise, ceux qui sèment aujourd’hui de faux espoirs risquent de récolter demain un véritable désespoir.

Les performances des marchés boursiers depuis mars – le Cac40 a gagné 20 % en quelques semaines – ne présument en rien de l’avenir de l’économie en général ni d’ailleurs de l’avenir des bourses elles-mêmes. Contrairement à une idée reçue, dans la crise actuelle, le marché des actions n’a rien anticipé. Il atteignait même des sommets au cours de l’automne 2007, plusieurs semaines après les premiers signes de l’éclatement de la bulle des subprimes.

Les spéculateurs sur les marchés des matières premières n’ont pas montré plus de perspicacité – comme l’a signalé Daniel Cohen dans un entretien à Causeur Mensuel – quand ils ont poussé le prix du baril de pétrole à 150 $, à peine un mois et demi avant la faillite de Lehman Brothers, événement à partir duquel la crise s’est déclarée dans toute son ampleur.

L’embellie dans certains secteurs du commerce, notamment celui de l’automobile, est toute relative et pourrait très bien marquer un palier – ce que les Américains appellent malicieusement le « saut du chat mort » – quand on jette un chat du toit d’un gratte-ciel, après le crash initial, son cadavre va forcément rebondir de quelques centimètres, ce qui ne signifie nullement que le félin résiste plutôt bien au choc.

C’est l’explication la plus probable du rebond actuel car les deux fondamentaux de la crise, l’état incertain des bilans des banques et le chômage, ne présagent d’une reprise rapide et ce n’est pas seulement moi qui vous le dit : les institutions financières elles-mêmes n’y croient pas !

En effet, les banques et autres organismes financiers ne cachent pas leur profond pessimisme, comme en témoigne une circulaire envoyée récemment par l’assureur de crédit Axa Assurcredit à ses clients. Sans s’attarder sur des formules de politesse, la missive annonce qu’une « dégradation constante de la situation économique depuis la fin de 2008 concerne tous les pays et tous les secteurs d’activité » et qu’en conséquence « les impayés s’accélèrent et ont été multipliés par trois pour la grande majorité de nos clients ».

Pour Axa, le constat est clair et ne laisse pas beaucoup de place à l’espoir – on ne peut même pas parler d’un « ralentissement du ralentissement ». En conséquence, l’assureur notifie à ses clients que la couverture de risques considérés comme élevés sera drastiquement réduite. En première ligne, donc, viennent les impayés : les risques qui étaient jusque-là garantis à 100 % ne le seront plus qu’entre 25 % et 40 % et dans certains cas cette couverture sera plafonnée à 5 000 €… Un véritable coup de massue pour les sociétés, notamment dans le tertiaire, dont l’activité exige d’accorder à leurs clients un crédit qui représente un volume important par rapport à leur chiffre d’affaires. Les destinataires de la circulaire sont placés devant un choix difficile : soit assumer seul le risque (impossible dans le cas d’une société dont le PDG m’a transmis la circulaire car les sommes sont importantes et la défaillance d’un seul client déclencherait une faillite immédiate) soit réduire leur activité – décision qui a prévalu dans le cas en question. Alors qu’aucun problème ne s’est (encore ?) déclaré chez ses clients, cette société – comme beaucoup d’autres sans doute – va devoir diminuer son volume d’activité avec eux, voire cesser complètement : un risque potentiel s’est transformé en problème réel.

Cerise sur le gâteau : la même circulaire annonce que ces mesures seront effectives deux mois après leur notification (donc fin juin début juillet) ! Pour ceux qui auraient mal compris, Axa ne croit pas à la reprise mais alors pas du tout. Visiblement, les communicants ou les financiers qui ont pondu ce texte ne se demandent pas si leur nouvelle formulation du merveilleux « principe de précaution » ne risque pas d’aggraver le marasme.

Si quelque part, il y avait un Etat, il ne laisserait ces choses en l’état…



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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