La langue française se meurt sous les coups des néoféministes, des universitaires, et des pseudo-linguistes qui réclament absurdement une langue « égalitaire » ou « inclusive ».
En plus d’être des militants, les massacreurs de la langue française sont souvent aussi des “communicants” dont on peut retrouver la trace dans la novlangue politique, médiatique ou publicitaire, qui est la langue du techno-monde.
« Quand on est amoureux de la langue, on l’aime telle quelle, comme sa grand-mère. Avec ses rides et ses verrues », écrivait Vialatte. Il pressentait les désastreux effets secondaires des liftings que des « chercheurs » allaient opérer. Dernièrement, un député français (!) a proposé de finir de la défigurer en promouvant la « langue française métissée » d’une chanteuse qui est à la langue française ce que Lilian Thuram est à la philosophie humaniste. L’entendre faire l’éloge de cette langue décharnée a été à la fois très drôle et très triste, car la langue qu’il utilisait pour ce faire était très mièvre et très pauvre.
La novlangue envahit nos gazettes communales
En plus d’être laide, la novlangue française gangrène les lieux les plus beaux quand elle essaie de les défendre ou d’en faire une « promotion touristique » qui promeut en réalité la destruction de l’endroit convoité. J’ai ainsi sous les yeux une brochure que je reçois régulièrement et qui me donne des « informations sur la Communauté de Communes des (…) » Les communes concernées sont entourées par une des plus belles forêts de France, une des plus grandes, une des plus anciennes, forêt de chênes et de hêtres essentiellement, lieu idéal pour les marcheurs, les cueilleurs de champignons, les chasseurs de papillons. Un petit coin de paradis. Bientôt un enfer : la brochure nous rappelle en effet qu’une « étude de développement touristique de la Forêt des (…) a été lancée » et qu’elle a « pour objectif de générer une vision partagée et de donner de la cohérence à la mise en tourisme de cet espace forestier au travers d’une démarche durable, superposant intégration locale, nouvelle mobilité et innovation. »
Et ce n’est qu’un début.
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La suite de l’article s’intitule Une forêt vivante et est écrite dans la même langue mortifère (je ne change rien à la syntaxe, à la mise en gras de certains passages, etc.) : « La Communauté des Communes mène des réflexions complémentaires pour développer l’itinérance comme filière d’excellence ainsi que sur la signalétique et la signalisation. Bien plus qu’imaginer la localisation et la thématisation de nouveaux itinéraires avec des successions de panneaux, ces deux réflexions sont centrées sur la question de « l’expérience de visite », conçue pour différentes typologies d’acteurs : cyclistes, résidents occasionnels, touristes de passage, résidents du territoire recherchant une « respiration de nature » à proximité… Le chemin vers une véritable logique d’accueil pour « vivre » notre forêt et notre territoire est en construction. »
L’horrible verbe “impacter”
Ce genre de « littérature » se multiplie et est écrit par des individus qui sortent de notre système scolaire, lequel a « égalitairement » réduit l’héritage littéraire à presque rien et la transmission des savoirs à pas loin de zéro. La langue qu’ils écoutent ou lisent aujourd’hui est principalement celle de la publicité, des réseaux sociaux ou, dans les milieux les plus “favorisés”, celle des “éléments de langage” appris dans les écoles de journalisme ou les cercles politiques. C’est une langue emplie de fautes, d’anglicismes, de nouveaux verbes (dont l’horrible impacter), et d’expressions techno-commerciales étranges, novlangue utile au seul programme de destruction du monde. Résultat : la simple promenade est remplacée par « l’itinérance comme filière d’excellence » ; à la rêverie sur les chemins forestiers se substitue une « expérience de visite » conçue non pas pour des promeneurs du dimanche mais pour des « typologies d’acteurs » ; le chemin ne sent plus la terre et les feuilles mais mène à « une véritable logique d’accueil pour “vivre” notre forêt » ; et tandis que je peine à retrouver mon souffle en escaladant une des travées du haut de la forêt, je devrais me souvenir de rechercher une « respiration de nature ». La langue du techno-monde est celle de l’information et de la communication, les instruments d’effacement du réel. Pour l’écrire ou la parler, point besoin de poètes ou de lecteurs avertis, au contraire. Les enfants sortis de l’école actuelle, nourris au rap, aux tweets et, pour les plus « doués », aux thèses universitaires sur le genre, suffiront amplement à la tâche.
On l’a bien cherché
Dans sa réjouissante Défense et illustration de la novlangue française, Jaime Semprun conclut ironiquement : « Cependant, l’ayant défendue (la novlangue) en tant qu’elle est la plus adéquate au monde que nous nous sommes fait, je ne saurais interdire au lecteur de conclure que c’est à celui-ci qu’il lui faut s’en prendre si elle ne lui donne pas entière satisfaction. »
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Le techno-monde a la langue qu’il mérite. L’un et l’autre se soutiennent en s’abaissant mutuellement. Un monde décadent doit pouvoir se dire et se lire dans une langue qui lui ressemble. De ce point de vue-là, on peut dire que notre novlangue française réussit totalement la tâche qui lui incombe. Pour illustration, rappelons les propos d’une fervente locutrice de la novlangue politique, Anne Hidalgo : « Loin d’être anxiogène, la résilience urbaine apporte des solutions pour mieux adapter les villes ». Aucun journaliste n’ayant demandé la traduction de cette « phrase », il faut croire que ce baragouin est maintenant compris par le plus grand nombre. Et qu’un prochain baragouineur pourra gribouiller dans ma feuille d’informations de la Communauté de Communes que « loin être éco-anxiogène, la résilience villageoise apporte des solutions pour mieux adapter les forêts », sans que personne n’y trouve rien à redire.
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