Le ministre de l’Éducation nationale, qui fait un sans-faute et jouit d’un certain soutien populaire, séduit autant qu’il attire les jalousies de l’ancien monde. Pire: dans le marigot politique, il pourrait être tenté de plaire à tout prix. Et pour cette raison, notre chroniqueur a peur pour le futur de Gabriel Attal.
Gabriel Attal, remplaçant un ministre médiocre et donc content de lui – suffisance et insuffisance vont souvent de pair – est devenu, le 20 juillet 2023, ministre de l’Education nationale. Depuis, c’est un feu d’artifice. Politique et médiatique. Que certains de ses collègues aient été jaloux de cette exposition quasi constante n’est que trop naturel dans un univers où les grâces ou disgrâces sont scrutées d’un œil vigilant. Que Gabriel Attal soit même envisagé comme un possible successeur d’Elisabeth Borne – ce dont je doute, on ne change pas de monture au milieu du gué et il y a encore tant à redresser et à accomplir ! – dépasse la mesure pour certains qui ne peuvent pas admettre cette fatale et scandaleuse inégalité de la vie politique.
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Consensus populaire
Sans prétendre entrer dans le détail d’une activité impressionnante depuis six mois, on perçoit sur quoi elle se fonde – et pourquoi elle suscite tant d’adhésion. D’abord sur un constat pris de plein fouet, tenant notamment au piètre classement de la France dans les évaluations internationales. Ensuite sur une appréhension de la réalité sans la moindre complaisance, tant dans ses défaillances structurelles que dans ses dysfonctionnements au fil des jours, pour ne pas dire chaque jour. Par ailleurs et c’est fondamental, une volonté de ne pas constituer le verbe telle une illusion pour feindre l’efficacité. Il trouve au contraire sa traduction concrète et immédiate par des mesures, des décisions, des modifications, des bouleversements nécessaires et des actes qui sont légitimés moins par l’autorité présidentielle – la fiabilité d’un président faisant passer de Pap Ndiaye à Gabriel Attal est en effet sujette à caution – que par un fort consensus populaire. Enfin – et il y a là sans doute la clé de cette embellie ministérielle : à la fois le sentiment que le meilleur est enfin possible mais qu’il est menacé parce qu’on a trop d’exemples où les crises et leur urgence, après un début de traitement, sont demeurées en déshérence. Gabriel Attal apparaît bien, comme le souligne Alain Finkielkraut dans le nouveau numéro en vente de Causeur, comme « l’espoir terminal ». C’est en même temps sa force mais sa faiblesse si les résistances conservatrices (j’y inclus le syndicalisme de gauche dominant dans le monde de l’Education) prennent le dessus et bloquent le processus de transformation.
On a évidemment le droit de le contester mais rien dans son élaboration n’est absurde. Tout ce qui est envisagé par le ministre et déjà mis en œuvre sur des points importants, représente une plénitude qui n’oublie rien d’essentiel, de l’autorité, de la discipline, du port expérimenté de l’uniforme, jusqu’à l’enseignement lui-même et à la restauration de la légitimité des professeurs face aux élèves et aux parents.
Les rails du bon sens
Ma peur pour Gabriel Attal ne vient pas de là. Si on le laisse faire et qu’aucune frilosité, à tous les niveaux concernés, ne vient entraver cette révolution, cette dernière remettra l’Éducation nationale sur les rails à la fois du bon sens, de la réussite et de la rigueur. Ma peur vient du risque qu’il représente pour lui-même. Je ne suis pas naïf. Je connais son parcours, son histoire et ses origines politiques. Personne ne doute de son ambition et elle est légitime puisqu’il en a les capacités, le talent et plus généralement la plausibilité. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je le pense. Partout où il est passé, avec la bienveillance du président qui pour une fois a été un bon DRH, Gabriel Attal a marqué par un éclat, une compétence, une alacrité qui le faisaient sortir du lot. Peu importe qu’à chaque succession il ait bénéficié de la médiocrité de celle ou de celui qui précédait !
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Il n’a pas été épargné par des vilenies déversées sur son caractère et sa vie intime par un ennemi d’enfance, Juan Branco, qui le harcelait à l’école primaire et le poursuit encore aujourd’hui de sa haine maladive. Il s’en était remarquablement sorti avec une émotion non feinte en intervenant sur TF1 dans l’émission Sept à Huit.
La crainte sur le futur de Gabriel Attal m’a été inspirée par un remarquable reportage sur lui et son activité au quotidien dans La Tribune Dimanche du 17 décembre 2023. Il paraît d’ailleurs que sa pose en majesté, sur la couverture, aurait déplu à l’Elysée. Il y a certes des éléments qui rassurent dans ces pages, notamment la volonté du ministre de faire fond, pour son avenir, plus sur le soutien populaire que sur les réseaux internes de la politique « politicienne », plus sur quelques fidèles qui lui sont totalement dévoués que sur les habituelles solidarités partisanes. J’espère que cette vision pertinente résistera à l’emprise des mécanismes classiques dont une ambition comme la sienne devra presque obligatoirement user. C’est justement sur ce plan que je m’inquiète le plus pour les prochaines années de Gabriel Attal : que ce qu’il y a encore de spontané, d’improvisé, de non prémédité dans son trajet se dégrade en routine partisane, en rivalités banales, en rapports de force convenus, en un clientélisme délétère. Jusqu’à aujourd’hui, avec habileté, il n’a jamais sacrifié son originalité sur l’autel du conformisme gouvernemental. Quand je lis qu’il a pris la peine de rendre visite à Nicolas Sarkozy et de déjeuner avec lui, qu’il a fait de même avec ses prédécesseurs rue de Grenelle, on pourrait certes le féliciter pour ce souci de recueillir le fruit de leurs expériences. Mais je ne suis pas persuadé que la consultation de « l’ancien monde » soit bien stimulante. Au contraire je la redoute comme une forme de contagion qui pourrait gangrener son élan et son enthousiasme créatif par des pesanteurs dont les uns et les autres ils n’ont pas su se défaire. Le contraire du chemin que Gabriel Attal voudrait suivre.
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Mais il va affronter tant de défis et devoir résister à tant de facilités – et je ne dénie pas, en superficie, le rôle de son apparence et de son élégance qui, par contraste, l’avantagent – que je ne peux pas m’empêcher de craindre le poison dans la promesse et le retour du banal entre-soi. Je redoute que le petit milieu politicien, gauche et droite confondues – et le macronisme en est une caricature dans la synthèse qu’elle opère – lui fasse oublier que, s’il est aujourd’hui en tête des sondages, ce n’est pas parce qu’il ressemble à tout le monde. Mais au contraire à personne.
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