Une variation brillante sur le marché de l’art, un téléfilm à la gloire de José Bové et un western qui détourne les codes du genre, ainsi va le cinéma sur les écrans, tandis que Cannes s’apprête pour le Festival.
Adjugé !
Le Tableau volé, de Pascal Bonitzer, sortie le 1er mai
On connaît le grand talent de Pascal Bonitzer, d’abord comme scénariste (pour René Allio, André Téchiné, Barbet Schroeder, Jacques Rivette et Raoul Ruiz, entre autres) puis comme réalisateur depuis Encore en 1996. Suivront notamment Rien sur Robert, l’un des meilleurs films de Fabrice Luchini, Petites coupures avec un Daniel Auteuil en grande forme ou encore Cherchez Hortense où Jean-Pierre Bacri et Claude Rich excellaient littéralement. C’est d’ailleurs l’un des atouts de cet écrivain de cinéma surdoué : son goût pour les acteurs et sa capacité manifeste à les diriger. Le plaisir du spectateur est au rendez-vous : de bons comédiens servant un bon scénario aux dialogues ciselés. Qui dit mieux ? On pourrait presque parler d’une martingale Bonitzer qui lui fait occuper une place à part dans le paysage cinématographique français. Ses comédies sont subtiles, élégantes et mélancoliques. Pour les plus réussies d’entre elles, elles font d’ailleurs songer à celles de Jean-Paul Rappeneau, même si nul ne sait atteindre le sens du rythme de ce dernier.
Le nouvel opus de Bonitzer, Le Tableau volé, prend d’ores et déjà une bonne place dans sa filmographie. Avec en premier lieu et comme il se doit une distribution impeccable, d’où émergent Alex Lutz, Louise Chevillote, Léa Drucker, Nora Hamzawi et, dans un second rôle plus que parfait, l’étonnant Alain Chamfort. Bonitzer a cette fois tricoté une sombre histoire de tableau volé par les nazis, offert à un collabo et retrouvé par hasard par un jeune ouvrier. Le tout inspiré d’une histoire vraie : la découverte, au début des années 2000, d’un tableau d’Egon Schiele, dans le pavillon d’un jeune ouvrier chimiste de la banlieue de Mulhouse, par un spécialiste d’art moderne d’une grande maison de vente internationale. Mais le tableau s’est révélé être une œuvre spoliée durant la Seconde Guerre mondiale. Dans le film, cet expert, nommé André Masson, comme le peintre, est joué à la perfection par un Alex Lutz tout à la fois génialement odieux, professionnellement brillant et définitivement intéressé par l’argent et le profit. Dans son précédent film, Tout de suite maintenant, Bonitzer avait dressé le portrait sans concession des golden boys et girls de la finance internationale. La description du petit monde du marché de l’art haut de gamme est tout aussi corrosive. C’est un jeu de massacre d’autant plus efficace que Bonitzer manie le scalpel sans avoir l’air d’y toucher.
A lire aussi : Fanny Ardant, amoureuse impériale à Port-…Royal
Le mensonge, la dissimulation, l’hypocrisie sont au cœur du scénario, reléguant à l’arrière-plan le fameux tableau volé, remake funèbre des Tournesols de Van Gogh. Et Bonitzer réussit le pari de sortir de sa zone de confort habituelle, celle de la bonne bourgeoisie parisienne, pour dépeindre une autre classe sociale, défavorisée, aux antipodes des autres protagonistes du film. Si les deux camps se côtoient le temps de cette improbable rencontre, il est manifeste qu’ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Avec pertinence, Bonitzer ne fait pas le coup de l’Art qui réunit les contraires : chacun, finalement, rejoint qui, son loft et qui, son pavillon de banlieue. Le tableau volé ne les a rassemblés que le temps d’une vente aux enchères record. Entretemps, le cinéaste a développé avec son brio habituel quelques thèmes transversaux, comme cette relation tumultueuse entre une fille et son père. Ce dernier lâche, en point d’orgue, un constat désabusé tiré d’un texte de Virginia Woolf selon lequel, vivre, se résume à « encaisser, lâcher du lest, tout revoir à la baisse ». Ainsi va le cinéma de Bonitzer : une légèreté grave qui fait mouche.
Refusé
Une affaire de principe, d’Antoine Raimbault, sortie le 1er mai
Est-il raisonnable de faire de José Bové un personnage « de fiction » sous les traits de Bouli Lanners – par ailleurs talentueux acteur et cinéaste belge ? On est persuadé du contraire en sortant de la projection du film d’Antoine Raimbault, Une affaire de principe. On a l’impression que pour ce cinéaste, la vie ressemble à un numéro de « Complément d’enquête » aux dialogues ciselés par Élise Lucet. Certes, nul ne peut contester l’extrême efficacité des groupes de pression qui, à Bruxelles, œuvrent au quotidien pour la défense de l’industrie du tabac. On se gardera bien d’ouvrir ici le débat sur la nocivité dudit tabac et ses dégâts sur la santé publique. Mais à force de bons sentiments, de caricatures et de clichés en tous genres, à force, surtout, de faire de Bové et des assistants parlementaires des sortes de nouveaux résistants contre l’occupant, le film sombre dans un prêchi-prêcha sans intérêt. Quitte à jouer avec la réalité jusqu’au grotesque quand, dans certaines scènes, on peut se croire dans Le Parrain avec un commissaire européen affaibli dans le rôle de Brando.
Réussi
Jusqu’au bout du monde, de Viggo Mortensen, sortie le 1er mai
Avec la réalisation de ce deuxième long métrage après Falling, l’acteur américano-danois Viggo Mortensen prouve qu’il est un cinéaste talentueux. Adoptant les codes du western traditionnel pour mieux les détourner, il raconte l’histoire de Vivienne Le Coudy, une Canadienne d’origine française (incarnée par la toujours impeccable Vicky Creeps) qui, en 1860, à San Francisco, tombe amoureuse d’un immigrant danois nommé Holger Olsen (Mortensen lui-même). Mais la guerre de Sécession va se charger de perturber leur relation… En faisant porter son regard sur le personnage principal féminin, le cinéaste joue non sans malice avec la doxa du western en vigueur à Hollywood depuis l’invention du cinématographe. Sans tomber dans la caricature ou l’anachronisme, il fait le portrait d’une femme qui refuse les conventions sociales et décide seule de son destin. On pense à Sur la route de Madison, de Clint Eastwood, mais Viggo Mortensen assume un romantisme et un romanesque sincères et sans esbroufe larmoyante. Le tout à travers une mise en scène aussi sobre qu’efficace. Autrement dit, du cinéma classique et qui fait du bien.