Les citoyens américains ont quelques bonnes raisons de douter de la fiabilité de leur système électoral.
Tout le monde connaît – ou croit connaître – les États-Unis. Les États-Unis, c’est le pays du Far West et des cow-boys ; le pays de la Prohibition et des gangsters ; le pays de la Statue de la liberté et du capitalisme triomphant ; le pays qui a sauvé l’Europe de l’Allemagne nazie ; le pays qui a envoyé des hommes sur la Lune ; le pays qui est à l’origine d’une grande partie des découvertes et des inventions qui font le monde moderne… Mais les États-Unis, c’est aussi le pays qui a le pire système électoral de toutes les démocraties occidentales, comme l’ex-président américain, Jimmy Carter, l’a déclaré, comme maints experts l’ont écrit, et comme l’enquête que nous avons menée le confirme.
Depuis l’élection présidentielle controversée de 2020, il est interdit de parler de ce sujet, qui était auparavant l’objet de nombreuses études universitaires. Il est temps de briser ce tabou. Dans cette série de trois articles que nous publions, nous allons étudier les aspects les plus choquants du système électoral américain. Ce voyage va nous entraîner dans les profondeurs les plus obscures de ce système électoral, fissuré par un nombre stupéfiant de failles de sécurité béantes, dont personne ne parle en France ni en Europe. Vous aurez du mal à le croire et, pourtant, tout est vrai. Bien entendu, nous fournirons toutes les preuves et toutes les références de ce que nous avançons.
Mais, avant d’entamer ce voyage dans l’enfer électoral américain, il est nécessaire de décrire les particularités de ce système, tellement différent du nôtre. (1)
L’État fédéral et ses 50 États
Les États-Unis sont un État fédéral, doté de sa propre Constitution et de ses propres élus (président, vice-président, représentants, sénateurs). (2) Il est constitué de 50 États, dont chacun possède sa Constitution et ses élus : président (appelé « gouverneur »), vice-président (dans 45 États, appelé « lieutenant-gouverneur »), représentants et sénateurs (sauf le Nebraska, qui a une législature unicamérale). (3)
Un nombre énorme de circonscriptions et de bureaux de vote
La Constitution des États-Unis et les lois fédérales sur le droit de vote accordent aux États une grande latitude dans la manière dont ils gèrent les élections fédérales, qui ont lieu tous les deux ans, début novembre, et les élections locales, qui ont lieu selon des périodicités spécifiques.
Les élections sont généralement administrées par les comtés mais, dans certains États, ce sont les villes ou les cantons (townships) qui en sont chargés. Au total, il existe plus de 10 000 juridictions électorales (circonscriptions) aux États-Unis, dont la taille varie considérablement, les plus petites ne comptant que quelques centaines d’électeurs, tandis que la plus grande en compte 5,5 millions (comté de Los Angeles). (4)
Les États sont chargés du découpage des circonscriptions utilisées pour les élections fédérales, et les juridictions locales, du découpage des circonscriptions utilisées pour les élections locales. En 2020, il y avait 175 426 bureaux de vote. (5)
Un nombre énorme de lois et de procédures électorales
Les législatures des États adoptent les lois électorales, qui diffèrent donc d’État en État, et qui évoluent constamment : rien qu’en 2024, pendant les neuf premiers mois de l’année, 1792 projets de lois électorales ont été déposés dans 44 États. (6) Comme si cela n’était pas assez compliqué, chacune des 10 000 juridictions locales possède sa propre infrastructure électorale et choisit souverainement la façon dont les élections vont s’y dérouler : types des responsables électoraux (administrateur unique ou commission), procédures pour inscrire les électeurs sur les listes électorales, taille et présentation des bulletins de vote (ordre des postes à pourvoir, ordre des noms des candidats…), modes de vote (anticipé, par correspondance, en personne…), modèles de machines électroniques utilisées (pour voter, pour vérifier les signatures, pour transmettre les résultats…), recrutement des employés électoraux, fonctionnement des bureaux de vote, règles encadrant les observateurs électoraux, procédures pour dépouiller et enregistrer les votes – bref, toutes les étapes du processus électoral.
Ces étapes sont codifiées dans les Codes électoraux des juridictions, composés de centaines de pages, divisées en milliers de sections, sous-sections, paragraphes, sous-paragraphes, qui détaillent avec une minutie de bureaucrate tous les cas possibles. Cet incroyable fouillis de lois, de réglementations et de modes de fonctionnement, qui varient d’une juridiction à l’autre, d’une année à l’autre, d’un type de scrutin à l’autre, complique la lutte contre les fraudes électorales et explique l’absence de confiance des Américains dans la fiabilité et la sécurité de leur système électoral.
Un nombre énorme d’élections et de référendums
Dans son célèbre livre sur la démocratie américaine, Alexis de Tocqueville notait que « les Américains sont habitués à procéder à toutes sortes d’élections. » (7) En effet, les électeurs américains élisent 535 législateurs fédéraux (435 représentants, 100 sénateurs), 7383 législateurs d’État (représentants, sénateurs) et, en comptant tous les élus locaux, plus de 500.000 responsables qui servent dans 80.000 institutions. (8)
Voici une liste non exhaustive des postes pourvus par des élections aux États-Unis.
Au niveau de l’État fédéral : le président (et son vice-président), les représentants, les sénateurs.
Au niveau de l’État : le gouverneur, le lieutenant-gouverneur, les représentants, les sénateurs, de nombreux membres du gouvernement de l’État, comme le secrétaire d’État (Secretary of State), le ministre de la Justice (Attorney General), le trésorier (Treasurer), parfois aussi le contrôleur financier (Auditor, Controller, Comptroller, Chief Financial Officer), le ministre de l’Éducation (Superintendent of Public Instruction, Commissioner of Education, Commissioner of Schools), le ministre du Travail (Commissioner of Labor), le ministre des Impôts (Tax Commissioner), le ministre des Terres publiques (Commissioner of Public Lands), voire les administrateurs de l’université d’État (State University governors, regents, trustees).
Au niveau du comté ou de la ville : les dirigeants du comté (sherif, superintendant), les membres du conseil du comté (county commissioner), les dirigeants de la ville (mayor, town supervisor), les membres du conseil municipal (city commissioner, city councilor, councilman), le responsable des élections (supervisor of elections), le responsable des listes électorales (assessor), le percepteur des impôts locaux (tax collector), le commissaire aux comptes (auditor), le chef de la police du comté (constable), le chef de la police municipale (police commissioner), le chef des pompiers (fire chief), les membres des conseils scolaires (school board members), parfois aussi le médecin légiste (coroner), les membres de la commission de la santé (Healthcare District Board directors, Health Service Board members), le responsable de la voirie (road commissioner), le responsable des chemins de fer (railroad commissioner), le responsable du port (port commisioner), l’arpenteur-géomètre (surveyor), le responsable des ressources naturelles (Soil and Water Conservation District director), le responsable des égouts (sewer commissioner), voire le responsable des arbres publics (tree warden).
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Dans la majorité des États, les citoyens élisent aussi les juges (municipal court judges, family court judges, district court judges, criminal court judges, court of criminal appeals judges), les procureurs (prosecutors, solicitors), et les juges de la Cour suprême de leur État (justices).
Enfin, les citoyens doivent voter pour des référendums d’initiative populaire (à l’échelon de l’État, du comté ou de la ville), pour des propositions d’amendements à la Constitution de leur État, pour révoquer un élu (recall), parfois aussi pour approuver les comptes de leur ville ou comté, un nouvel emprunt de leur ville ou comté, les budgets des écoles locales, les budgets des travaux de voirie, etc.
Les bulletins de vote américains sont donc très longs. Par exemple, à Houston (Texas), pour les élections de mi-mandat de 2018, le bulletin de vote faisait 16 pages ; pour les élections du 5 novembre 2024, les électeurs de cette ville ont 61 choix à faire pour 61 postes à pourvoir.
Dans ce pays, où 500 000 responsables publics sont élus, la sécurité des élections est donc encore plus importante que dans les autres démocraties de la planète, et les fraudes éventuelles peuvent influencer des dizaines d’élections dans chaque circonscription. Cela est d’autant plus vrai que les élections locales se jouent souvent à quelques voix près. Par exemple, dans l’Ohio, en seulement 15 mois, 70 élections se sont achevées par une victoire d’une voix ou par une égalité parfaite. Un seul fraudeur peut donc inverser le résultat d’une élection, voire de plusieurs. (9)
Le pouvoir du système judiciaire américain
Dans une décision historique de 1803, la Cour suprême des États-Unis a formulé le principe du contrôle juridictionnel, selon lequel les tribunaux américains ont le pouvoir d’annuler les lois et les statuts qu’ils jugent contraires à la Constitution des États-Unis. (10) Les tribunaux ont donc le pouvoir d’annuler les lois électorales, ce qui leur confère un rôle aussi important que méconnu dans la saga des élections américaines. Voilà pourquoi il est nécessaire de décrire aussi succinctement le système judiciaire des États-Unis. Bien que chaque État possède sa propre organisation judiciaire, elle comporte toujours deux échelons : les tribunaux de l’État et les tribunaux fédéraux.
Chaque État dispose de ses tribunaux de première instance (Trial Courts), de ses tribunaux d’appel (Courts of Appeal, State Appellate Courts), et de sa Cour suprême. (11) L’échelon fédéral ressemble à celui des États : tribunaux de première instance fédéraux (U.S. District Courts), puis tribunaux d’appel fédéraux (U.S. Courts of Appeals), puis Cour suprême des États-Unis (U.S. Supreme Court). Chaque plainte peut donc, en théorie, être examinée par six niveaux différents de tribunaux. Des astuces de procédures permettent, dans certains cas, de sauter une ou plusieurs étapes et de déposer directement un recours devant la Cour suprême de l’État, voire devant la Cour suprême des États-Unis.
Comme nous l’avons déjà dit, dans la plupart des États, les juges et les procureurs sont élus par le peuple. Il en découle que, dans les États majoritairement Démocrates et dans les grandes villes américaines (toutes gérées par les Démocrates), les juges et les procureurs sont quasiment tous des Démocrates. Cela permet aux Démocrates de mener une incessante guérilla judiciaire contre l’adoption de lois visant à sécuriser les élections, comme nous le verrons bientôt…
Dans notre prochain article, nous passerons en revue les avis des experts sur le système électoral américain.
>> A suivre <<
Notes
1) Pour des informations sur la Constitution, le fédéralisme, les branches législatives, exécutives, judiciaires, et les élections des États-Unis, voir :
The Book of the States, Council of State Governments.
2) Les représentants sont l’équivalent de nos députés.
3) La capitale des États-Unis, Washington, est située en dehors de ces 50 États, dans le district fédéral de Columbia. Le rôle de ce district dans les élections étant négligeable, nous n’en parlerons pas dans nos articles.
4) « Election Administration at State and Local Levels », National Conference of State Legislatures, Updated December 22, 2023.
https://www.ncsl.org/elections-and-campaigns/election-administration-at-state-and-local-levels
5) Brian Amos, Steve Gerontakis and Michael McDonald, « Changing Precinct Boundaries: Who Is Affected and Electoral Consequences », Prepared for 2023 Election Science, Reform, and Administration annual meeting, Athens, Georgia, May 31 – June 2, 2023, p. 11.
6) Le site du Voting Rights Lab permet de suivre en direct les projets de lois électorales débattus dans les 50 États américains :
https://tracker.votingrightslab.org
7) Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Livre I, 1835, Chapitre 8, « Crise de l’élection ».
8) Steven J. Brams and Peter C. Fishburn, Approval Voting, Second Edition, Springer, 2007, p. 171.
9) « Statement Of Jon A. Husted, Ohio Secretary Of State, On The President’s Executive Actions On Immigration And Their Impact On Federal And State Elections », U.S. House Of Representatives Subcommittees On National Security And Healthcare, Benefits & Administrative Rules, February 12, 2015.
10) Marbury v. Madison, 5 U.S. 137 (1803).
11) Dans certains États, il n’y a pas de tribunaux d’appel, et c’est la Cour suprême qui traite directement les appels.
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