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Le suicide est-il de gauche ?


Les choses n’ont pas l’air de s’arranger au Parti socialiste, où Martine Aubry et ses alliés ne sont pas parvenus à s’entendre avec les « royalistes » pour constituer une direction où seraient représentées l’ensemble des sensibilités du Parti.

Il semble bien, au bout du compte, que le mode de scrutin majoritaire aux législatives et la nécessité, pour un candidat sérieux à l’élection présidentielle, de disposer de l’appareil d’un grand parti soit le seul ciment qui fasse tenir aujourd’hui la « vieille maison » chère à Léon Blum.

Outre que cette tragi-comédie voit sa vertu divertissante sévèrement concurrencée par les coups de talon judiciaires de Nicolas Sarkozy sur la gueule de son ex-rival à terre, Dominique de Villepin, on commence à se demander si la gauche réformiste française n’est pas entrée dans une spirale suicidaire.

Un récent voyage en Israël, pays qui se trouve actuellement en pleine campagne électorale, m’a permis de comprendre que les partis, même perclus d’histoire glorieuse, sont aussi mortels que peuvent l’être les empires.

Ainsi, le Parti travailliste israélien ne lutte plus pour la première place, celle qu’il occupa pendant des décennies, dans le Yischouv (les colonies juives) de Palestine d’abord, puis à la tête de l’Etat d’Israël jusqu’en 1977.

Aujourd’hui, les sondages le placent en quatrième ou cinquième position des formations en lice pour entrer à la Knesset, derrière le parti ultra-religieux sépharade Shas et au même niveau qu’Israël Beteinou, formation de la droite russophone d’Avigdor Lieberman.

Cette désaffection de l’électorat israélien pour un parti dont la contribution à la construction et à la survie de l’Etat juif a été essentielle prouve d’abord que le peuple possède des réserves infinies d’ingratitude.

« Oignez vilain, il vous poindra, poignez vilain, il vous oindra. » Cette maxime, peut-être abominablement aristocratique et élitiste, peut se révéler utile dans la vie politique, même démocratique. Mais un parti peut aussi grandement contribuer à sa propre décadence en considérant qu’il n’est pas nécessaire de se préoccuper de ce que vit, pense et espère le peuple dont on sollicite les suffrages. La qualité intellectuelle et l’habileté manœuvrière des cadres du parti permettent alors de faire de la politique « hors sol », comme l’agriculture israélienne est devenue experte à produire des tomates sans avoir besoin de se salir les mains dans la glèbe.

Et c’est ainsi qu’un parti « de gauche », le Parti travailliste israélien, se retrouve, au bout de quelques décennies, sociologiquement coupé de son substrat électoral naturel, les ouvriers, les salariés, les plus défavorisés, le peuple, quoi!, comme dirait l’excellent Pierre Mauroy. L’équivalent des énarques en Israël étant les généraux, il n’est pas étonnant qu’ils se soient retrouvés en masse chez les travaillistes, où ils estimaient que leurs éminentes qualités stratégiques et tactiques faisaient d’eux des dirigeants civils naturels et incontestables. Le dernier rejeton de cette espèce, Ehud Barak, est caricatural de cette évolution: brillant militaire, il est intimement persuadé qu’il est le seul, dans ce pays de 7 millions d’habitants à posséder les qualités nécessaires pour le diriger dans ces temps difficiles. Sans se rendre compte que le train de vie somptueux qu’il mène dans les beaux quartiers de Tel Aviv rend assez peu crédibles les postures électorales gauchistes qu’il est amené à prendre pour se différencier de ses principaux rivaux, à droite et au centre…

Nous ne sommes pas encore, en France, dans une configuration politico-sociologique à l’israélienne, où l’on verrait le XVIe, le VIIe et le VIe arrondissement de Paris voter massivement socialiste, alors que les quartiers populaires apporteraient la majorité de leurs suffrages à la droite et à l’extrême droite. Mais on peut percevoir quelques signes annonciateurs d’une évolution dans ce sens : « boboïsation » du parti à Paris et dans les grandes villes, transformation de l’organisation en un syndicat d’élus, où ceux qui ne le sont pas aspirent à l’être, substitution de la lutte pour les places au débat d’idées…

Il y a aujourd’hui quelque chose de pathétique à observer aujourd’hui deux femmes, énarques et élevées depuis leur sortie de l’école dans les meilleures couveuses politiques, partir à la recherche du peuple perdu. Martine Aubry cherche son peuple dans les syndicats, les associations, dans les vestiges branlants du réseau social construit par la gauche au temps où elle était dans le peuple comme un poisson dans l’eau. Ségolène Royal s’efforce, elle, de rassembler autour d’elles un peuple de fidèles ravis, électrisés par sa présence charismatique et cathodique. Comment alors pourraient-elles s’entendre et, à plus forte raison mener un combat commun?

La question qui maintenant risque de se poser est la suivante : a-t-on vraiment besoin de la gauche par les temps qui courent ? Et si oui, pour quoi ?



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