Soyons clairs : je n’ai jamais éprouvé aucune sympathie pour l’Europe telle qu’elle se construit. Pour être un internationaliste conséquent, encore faut-il qu’il y ait, étymologiquement, des nations. À mon âge, je n’ai pas grand-chose à reprocher à la nation. À la mienne, en tout cas. Elle a tout de même gratuitement ou presque veillé sur ma santé, assuré mon éducation et ma sécurité. Elle a également tenté de le faire pour les plus pauvres ou les plus faibles que moi, même quand ils n’étaient pas forcément français, ce que je trouve très chic de sa part, un chic républicain qui a connu des hauts, des bas et même une brève éclipse entre 40 et 44 mais qui reste quand même assez unique en son genre.
En échange, ma nation m’a finalement demandé assez peu de choses : douze mois de service militaire, le paiement régulier de mes impôts et le respect du code de la route.
Tout s’est brouillé
Alors quand je me suis aperçu comme la plupart des Français que l’Europe existait, c’est-à-dire au moment du référendum de Maëstricht, tout est devenu beaucoup plus compliqué. Par exemple, j’ai commencé à trouver que le clivage gauche-droite n’était plus aussi clair.
Avant, je préférais toujours un social-démocrate même rose très pâle à un centriste même très progressiste. J’étais du genre à croire qu’il y avait, pour les plus anciens de nos lecteurs qui se souviendront de qui je veux parler, une véritable différence entre Bernard Stasi et Michel Rocard. Et voilà que tout se brouillait : je me sentais soudain plus proche de Séguin que de Mitterrand.
J’ai demandé autour de moi si c’était normal. Comme autour de moi, il y avait surtout des communistes, ils m’ont répondu pour la plupart que oui, c’était normal, mais que ce n’était pas non plus la peine de le crier sur les toits, qu’on avait assez d’ennuis comme ça en ce moment avec ce qui se passait à l’Est. Certains me rappelaient même que les gaullistes et nous, on avait toujours été d’accord sur l’Europe qui était une construction supranationale voulant imposer un modèle économique définitivement capitaliste sur le continent. Simplement, les gaullistes insistaient un peu plus sur les dangers du supranational et nous sur ceux du modèle économique.
L’Europe, la France et moi
Les années ont passé et ce n’est pas allé en s’arrangeant.
Ni pour moi, ni pour la France, ni pour l’Europe.
En plus d’être communiste, je suis devenu souverainiste. Il m’est même arrivé de voter pour Chevènement et de trouver le Pasqua de 1999 sympathique. Des amis de trente ans cessent alors de vous parler et au bout du compte, on finit par écrire à Causeur, vous voyez le genre.
La France a trouvé le moyen de perdre sa monnaie, sa croyance en un vouloir-vivre ensemble (il y eut une époque où cette expression ne faisait pas forcément rire et ce n’était pas plus mal) et de préférer les débats sur les sujets de sociétés aux sujets de débats sur la société. En gros on s’est s’étripés sur le Pacs et les drogues douces pendant qu’on liquidait l’Etat-Providence. Vous voyez de quoi je parle, là, avec l’Etat-Providence ? Vous savez, la grosse bête qui achève de cracher ses poumons ces jours-ci entre un mini-putsch parlementaire et une propagande généralisée à la télé, à la radio et dans presque tous les journaux. On remarquera au passage que tout cela est allé d’autant plus vite et plus facilement que les gaullistes ont pratiquement disparu du paysage et que les communistes… non plus.
L’Europe, enfin, avait promis la paix et elle a fait la guerre en Yougoslavie, au Kosovo et maintenant en Afghanistan (Je sais, c’est l’Otan mais depuis que la France a réintégré l’Otan, UE et Otan, c’est kif-kif le bourricot taliban.). Elle s’est élargie à des pays pauvres en se disant qu’il serait plus facile de s’aligner sur eux pour le social. D’ailleurs, les pays riches comme la Norvège qui ont du pétrole et des grandes filles blondes qui ont un an de congé-maternité, ils ont dit non, merci, sans façon. Pour finir, comme elle ne demande pas son avis aux peuples, les peuples se mettent à voter à l’extrême droite un peu partout ce qui permet aux news magasines de faire des dossiers citoyens et récurrents sur la question.
Nation sans nationalisme
Ce qu’il y a de bien avec le souverainisme, justement, c’est qu’il permet d’aimer sa nation sans être nationaliste. Le souverainiste, et notamment le souverainiste français, pense que la nation, c’est encore pour l’instant le seul cadre qui protège, qui permette d’assurer un minimum de cohésion sociale en résistant à la mondialisation. Seulement, quand on est souverainiste, il faut aller jusqu’au bout de sa logique.
Et les postures adoptées par le pouvoir actuellement face à la question rom, c’est tout de même du souverainisme à la très petite semaine. On dit merde à l’ONU, au Pape, aux Roumains, à la Commission Européenne et au Luxembourg via cette même Commission Européenne. Il faut la voir, rouler des mécaniques, cette droite de gouvernement qui bande ses petits muscles en disant : « On fait ce qu’on veut, on est chez nous, non mais… »
Il y a juste un petit problème. C’est que c’est la même droite qui a fait voter en catimini parlementaire le traité de Lisbonne malgré le référendum de 2005 et la même qui ne cesse aujourd’hui de nous citer le monde entier en exemple sur les retraites pour nous faire honte devant notre archaïque feignasserie de Gaulois qui refusent d’admettre que l’allongement de l’espérance de vie suppose l’allongement de la durée de travail.
Alors on voudrait juste leur rappeler que le souverainisme, ce n’est pas un jour sur deux, quand ça arrange sur des questions de roulottes mal garées. C’est aussi une volonté économique de rester les maitres chez soi et d’affirmer la prééminence d’un modèle social, fusse contre le monde entier et sa cinquième colonne des experts autoproclamés.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !