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Le souci des animaux


Le souci des animaux

Vous inventez une troisième voie ?
J’essaie d’élaborer une pensée qui prenne acte de la conception darwinienne, matérialiste de l’animal, mais qui permette en même temps d’éveiller ou de réveiller quelque chose qui s’appelle la responsabilité. Or, ce n’est pas en qualifiant l’homme d’animal humain ou de primate humain que l’on éveillera en lui un sens de la responsabilité envers les autres animaux ou les autres primates.

Pourquoi la responsabilité envers les animaux ? Ne faudrait-il pas déjà éveiller le sens de la responsabilité envers les humains ?
Votre question reconduit une idée selon laquelle aimer les animaux, veiller à une certaine considération pour eux, ce serait être anti-humaniste – zoophilie et antisémitisme étant allés de pair chez les nazis. Or, cette mise en corrélation est fausse, cela a été démontré, textes juridiques en mains. Alors, pourquoi demander que les êtres humains se conduisent de façon responsable envers les animaux ? Parce qu’ils sont les victimes par excellence, des êtres vivants qui ne peuvent pas s’opposer et que, depuis le néolithique, nous les tenons à notre merci. Et c’est aussi vrai des animaux sauvages, des bêtes de ferme, celles qu’on appelle les animaux de rente, que de celles qu’on utilise dans l’expérimentation.

En somme, ce qui vous intéresse, dans l’animal, c’est la victime ?
Ce qui m’a interpellée, dans l’histoire, dans la vie, dans la pensée, c’est la fragilité, la vulnérabilité des êtres vivants. Et la pitié, ou l’absence de pitié m’est apparue comme une importante question philosophique.

Voulez-vous dire que ce qu’il y a de commun entre « eux » et « nous », c’est la souffrance ?
Un minimum de bon sens permet de savoir que les animaux souffrent quand on les maltraite. Ils sont en permanence stressés, ils vivent dans l’angoisse de la survie et les conditions que l’homme leur réserve aggravent cette angoisse. Quand, en voiture, on double une bétaillère remplie de porcs, on comprend bien de quoi il s’agit. Je doute de l’humanité, je veux dire de la bonté de celui qui ne s’identifie pas à l’oiseau englué dans le mazout et aux bêtes emmenées à l’abattoir ? Ce n’est pas un hasard si tellement d’auteurs juifs – I.B. Singer, W. Grossman, Adorno et Horkheimer, entre autres – ont établi une analogie précise entre le sort des bêtes destinées à notre nourriture et celui des hommes conduits à l’extermination

La singularité humaine se manifesterait notamment par la capacité d’avoir pitié, de reconnaître soi en l’autre. Mais cette capacité peut se passer du détour par la compassion envers les animaux. Faut-il aimer les animaux pour aimer les hommes ?
Darwin, qui nous a appris que l’homme était une espèce parmi d’autres, affirme aussi que la civilisation, c’est l’élargissement du cercle de la compassion. On porte secours aux faibles, aux malades, à ceux qui auraient dû être détruits par la sélection naturelle. On peut donc être évolutionniste et souhaiter que cette compassion ne s’arrête pas aux hommes. Elle doit s’étendre aux mammifères, avec qui, disait Freud, nous avons en commun « la terrible césure de l’acte de naissance ». La distinction entre ceux qui sont « simplement vivants » et les hommes me semble très dangereuse.

En quoi cette idée d’une hétérogénéité radicale est-elle dangereuse ?
Les définitions métaphysiques du « propre de l’homme » conduisent immanquablement à exclure ceux qui ne sont pas conformes à la définition : les fous, les handicapés mentaux, les prétendus sauvages et, pour reprendre le vocabulaire inquiétant de Nicolas Sarkozy à propos des pédophiles, les « monstres ». Pensez à cette certitude d’un propre de l’homme qui autorise par exemple à traiter certaines personnes de « légumes ». Le fait de s’enorgueillir de la supériorité radicale de l’être humain est peut-être humaniste dans sa démarche, il est anti-humaniste dans ses conséquences pratiques. En un sens je refuse d’être humaniste.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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