Vu de Paris, c’était plié, ou presque. Gérard Collomb avait, certes, réussi à sauver sa mairie de Lyon, au prix d’une fusion de ses listes avec celles des Verts, mais la défaite du PS dans nombre d’autres communes du Grand Lyon ne lui laissait que peu d’espoir, sur le papier, de conserver la présidence de la Communauté urbaine, qui doit accéder au statut de métropole[1. La future métropole lyonnaise doit récupérer les attributions du Conseil général pour l’aire métropolitaine de Lyon, forte de 1,3 million d’habitants, et dotée d’un budget de 2 milliards d’euros.] le 1er janvier 2015. Les deux blocs, le PS et ses alliés écologistes, communistes et divers gauche, et la droite UMP-UDI disposaient d’un potentiel de voix équivalent tournant autour de 70 des 162 sièges de l’assemblée communautaire, une vingtaine d’autres étant occupés par des maires ruraux sans étiquette, pour la plupart de sensibilité de centre-droit. En bonne logique, la majorité absolue de 82 voix aurait dû revenir au candidat unique de la droite à ce poste-clé, le sénateur maire d’Oullins François-Noël Buffet. L’affaire semblait d’autant plus mal partie pour Collomb que la petite dizaine de conseillers Front de gauche, menée par l’ex-socialiste lyonnaise Nathalie Perrin-Gilbert, tombeuse de la liste Collomb dans le 1er arrondissement de Lyon, avait annoncé qu’elle s’abstiendrait.[access capability= »lire_inedits »]
Or, le 16 avril, Gérard Collomb est triomphalement réélu président du Grand Lyon, dès le premier tour de scrutin, avec 92 voix contre 58 à Buffet, 2 au candidat du FN et 9 bulletins nuls, une voix s’étant portée sur le maire PS de Villeurbanne, Jean-Paul Bret, qui n’était pas candidat. Le vote étant secret, et les bulletins nuls étant revendiqués par le Front de gauche, on peut donc en déduire que le maire de Lyon n’a pas seulement séduit les « petits maires » du Val-de-Saône, mais aussi obtenu des suffrages venus de la droite. En effet, le rôle, en coulisse, de Michel Mercier, sénateur et président UDI du Conseil général du Rhône et artisan, avec Collomb, de la création de la métropole lyonnaise, n’est pas tout à fait étranger à la piètre performance du candidat unique de la droite.
Le partage des territoires que les deux compères avaient effectué sur le département du Rhône garantissait à chacun un fief quasiment imprenable pour l’avenir : à Collomb les zones urbaines, acquises à la gauche pour autant que les bobos de Lyon-centre parviennent à garder dans leur orbite les cités populaires de la banlieue est, au centriste modéré Mercier les campagnes du Beaujolais, du bas-Dauphiné et des monts du Lyonnais. Ce n’est pas la stratégie parisienne de reconquête du pouvoir par une droite bien à droite, telle qu’elle est conçue dans la cuisine de Jean-François Copé, qui allait perturber la subtile gastronomie politique rhodanienne : ici, on préfère Bocuse au fast-food. La tentative de Copé d’imposer l’un de ses séides, le député Georges Fenech, à la candidature UMP à la mairie de Lyon s’était d’ailleurs heurtée à la résistance de la droite locale, qui lui a préféré, lors de primaires ouvertes, l’inconnu (à Paris) Michel Havard, un filloniste centro-compatible…
Ce résultat n’est pas la conséquence d’une manœuvre de dernière minute, comme l’opération politicienne qui a permis à Martine Aubry d’empêcher le candidat UMP d’accéder à la tête de la Communauté urbaine de Lille. Ne pouvant espérer être reconduite à la suite de la perte, par le PS, de municipalités importantes de l’agglomération, elle a fait élire, avec les voix socialistes, le maire divers droite d’un village de 900 habitants pour diriger la future métropole nordiste, bien aidée en cela par la stupidité du candidat officiel de l’UMP, qui avait tenu les « petits maires » ruraux pour quantité négligeable…
Cela fait maintenant plus d’une décennie que Gérard Collomb n’en fait qu’à sa tête dans le style social-libéral décomplexé : proximité affichée avec les grands patrons de sa région, choix d’un avocat d’affaires sarkozyste, Richard Brumm, comme responsable des finances de la ville de Lyon, neutralisation de la « gauche de la gauche » par débauchages individuels pour contrer les idéologues écolos et néo-marxistes. Il a été l’un des rares dirigeants socialistes à prendre ses distances avec l’activisme législatif sociétal du gouvernement Ayrault, pourtant impulsé par Najat Vallaud-Belkacem, née à la politique grâce à un certain Gérard Collomb, dont elle fut la chargée de mission à la mairie, avant de s’éloigner de son mentor.
Ces péripéties au sein d’un petit monde politique provincial sont bien plus significatives d’un mouvement de fond de la société française que l’agitation croissante qui s’est emparée des appareils politiques nationaux, à droite comme à gauche.
Les barons locaux du PS, de l’UMP et de l’UDI ont déjà pris acte du fait que le tripartisme PS-droite républicaine-FN n’était pas un phénomène passager, mais le produit d’une restructuration durable du paysage politique français. Cette configuration était déjà celle de la IVe République, à la seule, mais notable, différence que le FN s’est substitué au PCF dans le rôle de parti pesant lourd électoralement, mais dont le positionnement le disqualifie comme partenaire d’une coalition gouvernementale, nationale ou locale. Ce paradigme, dont la déconstruction par François Mitterrand, au début des années 1970, a permis le retour de la gauche au pouvoir en 1981 sans qu’il fût nécessaire de toucher aux institutions de la Ve République, est de retour. Il appelle donc la convergence des « modérés » des deux rives, qui peuvent ainsi se dégager de l’emprise des doctrinaires d’extrême droite et d’extrême gauche. Pour l’instant, on bricole les nouvelles alliances en catimini, sur des territoires de plus en plus rebelles aux directives venues des centrales parisiennes. C’est à la lumière de ces événements qu’il faut comprendre la stratégie de Manuel Valls : sa fermeté face à la fronde de la gauche du PS ne fait qu’avancer le jour, qui ne devrait pas être très éloigné, où les réformes social-libérales souhaitées par lui (et Collomb) seront adoptées par le Parlement grâce aux voix de l’UDI et de quelques UMP style Michel Barnier ou Jean-Pierre Raffarin, probable prochain président du Sénat. Ou alors ce sera la crise de régime.[/access]
*Photo: Pascal Fayolle/SIPA.00676934_000010
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