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Le silence des Très Hauts

Le billet de Dominique Labarrière


Le silence des Très Hauts
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Évoquant ce qu’il est convenu désormais d’appeler « l’affaire Abbé Pierre », Élisabeth Lévy a mille fois raison lorsqu’elle écrit : « On ne condamne pas un mort »[1]. Hélas, il n’est guère davantage concevable de juger et condamner le silence devant une quelconque instance judiciaire. Le silence de la hiérarchie. Celle de l’Église de Rome en l’occurrence, l’entre soi des Très Hauts. Car on sait désormais que ces Très Hauts étaient au courant. Cela au moins depuis le séjour américain brusquement interrompu pour cause de « comportement inapproprié » et plus encore depuis la décision d’envoyer l’intéressé se soumettre à des soins dans un établissement suisse ad hoc.

D’autres institutions ou corporations, face à des transgressions comparables, les ont, elles aussi, hypocritement enfouies sous la chape du silence. Les mondes de l’école, de la politique, du cinéma, des médias, du sport, etc. Certes, mais aucune de ces communautés ne prétend devoir sa légitimité au culte de la vertu, au respect d’une exigence morale dont elles se voudraient être à la fois l’incarnation et la voix. L’Église si. De plus, concernant cette dernière, recourir à l’argument historique selon quoi on ne portait pas hier sur ces choses le même regard qu’aujourd’hui ne tient guère. Depuis ses tout premiers temps, l’Église s’est posée en contemptrice intransigeante du « fameux commerce charnel » et de ses dérives. Dans le même mouvement, elle en désignait la responsable principale, la femme.

La femme coupable de mille maux qui, énoncent doctement les dominicains Institoris et Srenger dans le Malleus Maleficarum – (Le Marteau des Sorcières – 1486) – « proviennent de la passion charnelle qui en elle est insatiable. » On pourrait multiplier à l’infini ce genre de références textuelles. Ce n’est donc pas le vent de l’époque ou l’air du temps qui serait venu, récemment, sensibiliser l’institution à ces sujets.

Dès les années cinquante, en très haut lieu on savait donc pour l’abbé Pierre. De même qu’on savait au sujet d’une autre affaire, plus saisissante encore, celle dont les tristes héros sont les frères Philippe, tous deux dominicains, et qui, bien que démasqués – et plus ou moins condamnés – dès ces mêmes années, ont pu persister jusqu’à une période récente dans leurs entreprises de domination sexuelle. Il faudrait aussi évoquer le silence fait autour de la multiplicité d’actes de pédocriminalité, longtemps étouffés là encore sous une omerta au sommet érigée, pourrait-on dire, en système.

Quel gâchis que ce silence des Très Hauts ! Imaginons combien ils se seraient grandis, et l’institution avec eux, si, brandissant crânement l’étendard qui devrait être le leur, l’étendard de la vertu, ils avaient – eux les premiers ! – encouragé, prêché, organisé, imposé la libération de la parole des victimes ! Autrement dit, s’ils avaient pleinement exercé leur magistère d’autorité morale. Tout simplement.


[1] https://www.causeur.fr/abbe-pierre-peut-on-juger-un-mort-291122



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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernières parutions : "Marie Stuart: Reine tragique" coll. Poche Histoire, éditions Lanore. "Le Prince Assassiné – le duc d’Enghien", coll. Poche Histoire, éditions Lanore.

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