Lorsqu’au cœur de l’été j’ai entendu Élisabeth Lévy déplorer sur un plateau télé le silence des musulmans modérés après les graves attaques antisémites commises en marge des manifestations pro-Gaza, je me suis sentie immédiatement visée. Dans l’ombre et en tant que simple citoyenne, j’attendais que des Français de confession musulmane ou issus de l’immigration arabo-musulmane – ce qui est mon cas – s’indignent de ces débordements honteux. Pour ma part, je n’ai jamais considéré les juifs français comme des « juifs » mais avant tout comme des compatriotes. J’ai donc toujours affirmé mon rejet absolu de l’importation d’un conflit étranger en France. Beaucoup d’autres musulmans de France faisaient de même. On ne cesse de fustiger notre silence, alors que nous existons, que nous agissons, et que des « modérés » peuvent être aussi et même plus inflexibles et déterminés que des extrémistes. Hélas, il semble bien que l’absence de relais public me condamnait à prêcher dans le désert. Alors, en attendant, je rassurais mes amis de confession juive et continuais de m’énerver à chaque fois qu’on m’accusait de ne pas bouger le petit doigt face à l’horreur. Jusqu’à ce que le niveau de frustration atteigne son paroxysme, que j’entre en contact avec Élisabeth Lévy, et que je puisse enfin, en mon nom et en celui de beaucoup d’autres, affirmer noir sur blanc mes positions.
Le triste spectacle auquel nous avons assisté dans les rues françaises doit inciter à réagir la vaste majorité des Français musulmans modérés ou laïcs. Même dans l’ombre. Il est nécessaire et urgent de rappeler aux juifs de France que leurs amis issus de l’immigration musulmane, dont je suis, ne se contenteront pas de condamner les actes ignobles dont ils ont été victimes. Nous aiderons à éradiquer ce genre de comportements. Car tous les Français doivent se sentir atteints et blessés du tort qui a été fait à nos compatriotes de confession juive.[access capability= »lire_inedits »]
En France, une nouvelle occasion aura été donnée à tous de constater que le déclassement et la déculturation nourrissent les mythes antijuifs dans toute une frange de la population. Cependant, l’antisémitisme des intégristes musulmans est bien antérieur à l’apparition, au début du xxie siècle, de l’antisémitisme antisioniste. Il cohabitait en sommeil, aux côtés de la judéophobie, ancienne mais toujours présente chez certains « Français de souche ». Si l’on ajoute à cela la propension d’esprits malléables à se croire entourés de complots, on aboutit au résultat que l’on connaît. Mais les taches indélébiles pour notre pays que sont le meurtre d’Ilan Halimi ou les tueries de Mohamed Merah rappellent que le mal n’est jamais vaincu. Certes, seule une minorité malfaisante applaudit à ces crimes. Il est urgent que cette minorité soit réduite à néant.
Ces expressions extrémistes, dans lesquelles nul ne peut se reconnaître, résultent de l’importation d’une vision simpliste et biaisée d’un conflit étranger. Il n’est pas besoin d’appartenir à un camp ou à une religion pour se rappeler que c’est Israël qui a subi une première agression avec l’assassinat ignoble de trois adolescents de 16 ans par des barbares, ou admettre que le Hamas cherche délibérément à atteindre des civils innocents par ses tirs de roquettes.
Tous les Français, y compris ceux de confession musulmane, devraient reconnaître que les valeurs de la démocratie ne sont pas portées par le Hamas. Ces valeurs ne sont pas incompatibles avec la religion musulmane. De surcroît, avoir une religion n’a jamais empêché d’être éclairé et être éclairé n’a jamais signifié mal la pratiquer. Les musulmans français doivent se défaire du tribalisme aveugle et bêlant qui a trop souvent incité à un silence complice vis-à-vis d’actes antisémites. Il leur faut également rejeter tout mouvement extrémiste et terroriste comme le Hamas, dont les musulmans sont les premières victimes.
Malheureusement, je n’ai pas entendu les manifestants français pro-Gaza s’indigner des stratégies clairement terroristes du Hamas, ni se soucier des événements qui ont abouti à la dernière confrontation. À la place, nous avons eu droit au degré zéro de la réflexion dans les slogans, à des théories du complot paranoïaques, à des cortèges parfois ouvertement habités par la haine du juif, d’où sont issus ceux qui s’en sont pris aux synagogues et aux commerces.
Il serait grave d’oublier que cette situation est également imputable aux personnalités en position de responsabilité qui tiennent des discours délirants. C’est le cas par exemple du président du Comité international de la Croix-Rouge, le Suisse Peter Maurer. Le poste occupé par M. Maurer devrait l’obliger à bien connaître les tenants et les aboutissants complexes du conflit proche-oriental. Il devrait mesurer l’impact qu’ont ses paroles sur les esprits aisément malléables et enclins à la haine. Or, en se rendant à Gaza, fief du Hamas, M. Maurer n’a pas trouvé mieux que d’insinuer que la situation, certes choquante, dont il était le témoin avait pour seul et unique responsable Israël, sans faire par ailleurs le moindre commentaire sur la stratégie militaire du Hamas ou les enjeux réels du conflit. Non seulement ce genre de propos peut contribuer à mettre le feu aux poudres en France mais en plus il participe de la marginalisation des musulmans modérés.
On évoque souvent avec une nostalgie que je partage l’époque où juifs et musulmans du Maghreb commerçaient – dans tous les sens du terme – et cohabitaient en paix. La France d’aujourd’hui est l’un des rares endroits au monde où ce genre de relations perdure. Comme j’en fais l’expérience tous les jours, aux yeux de beaucoup de Français, la religion importe peu, seule compte notre commune humanité. Au lieu de rêver de ce qui a été, il est primordial de sauvegarder et de renforcer cette précieuse harmonie à la française.
Pour que ces valeurs l’emportent, les autorités françaises ne peuvent abandonner les juifs, les musulmans modérés ou laïcs, et tous ceux qui souhaitent vivre ensemble. Aussi l’État doit-il se montrer impitoyable face aux atteintes matérielles, physiques ou verbales dirigées contre ses citoyens juifs. Il faut qu’émergent, partout dans le monde et particulièrement dans le monde musulman, des voix fortes conscientes de ce qui se joue au Proche-Orient. Pour que nous puissions enfin, nous, Français, passer à l’essentiel.[/access]
*Photo : Lis Ferla.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !