Selon le psychanalyste Jean-Pierre Winter, le militantisme transsexuel ne répond pas à la souffrance des personnes estimant être nées dans un « mauvais corps ». Pire, il renforce un sentiment de toute-puissance narcissique qui, en groupe, s’accompagne inévitablement de la violence.
La première fois que Freud aborde la question de l’identification, c’est dans le texte « Psychologie collective et analyse du moi », où il l’articule à sa théorie du narcissisme et plus largement à la théorie de la libido. Ce n’est pas abouti, de son aveu même, mais cela ouvre quelques pistes utiles pour penser les comportements collectifs actuels, jusque-là inédits et désormais encouragés par les réseaux sociaux.
La famille, la première foule à laquelle nous sommes confrontés
Ce qui interroge Freud en ce point de sa réflexion, c’est la question de l’amour singulier et de son rôle dans les entités collectives politiques, religieuses ou autres comme l’armée ou l’école. Cela le conduit à formuler une conception de l’identification qui n’est pas celle du mimétisme, mais celle d’un rapport complexe entre un Idéal et ceux qui s’y soumettent. Il remarque que la psychologie sociale traite de l’Homme comme membre d’une tribu, d’une caste, d’une classe sociale ou d’une institution oubliant systématiquement qu’il a d’abord jeté son dévolu, dans son enfance, sur une seule personne ou sur un nombre limité de ceux qui l’ont porté dans la vie. Or c’est dans le rapport à ces quelques individus que se sont édifiées ses pulsions. La pulsion sociale n’est ni originaire ni irréductible. Tout commence dans la famille envisagée comme la première foule à laquelle un sujet est confronté. Dès lors, la surprise est grande de le voir interroger les phénomènes de masse à partir de la transformation en amoureux de quiconque se trouve inséré dans un groupe. Les liens amoureux ou simplement affectifs « forment l’essence de l’âme collective », dira-t-il. Pourquoi ? Parce que chacun éprouve le besoin d’être en bonne entente avec les autres « plutôt qu’en opposition, ainsi donc peut-être “pour l’amour des autres” ». Mais pour satisfaire cette soif d’amour, les membres d’un collectif ont besoin d’un chef auquel ils sont rattachés par des liens libidinaux (Dans la famille, le « chef » était le plus souvent le père).
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Cela nous amène à ce que Freud appelait « identification par sympathie ». De quoi s’agit-il ? « Lorsqu’une jeune fille de pensionnat reçoit de celui qu’elle aime en secret une lettre qui excite sa jalousie et à laquelle elle réagit par une crise d’hystérie, quelques-unes de ses amies, qui le savent, vont reprendre à leur compte pour ainsi dire cette crise par la voie de la contagion psychique. Le mécanisme est celui d’une identification, sur la base de la capacité et de la volonté de se mettre soi-même dans la même situation. Les autres ne peuvent également avoir une relation amoureuse secrète et accepter, sous l’influence de la culpabilité, la souffrance que cela comporte. Il serait incorrect de soutenir qu’elles s’approprient le symptôme par sympathie. Au contraire, la sympathie naît de l’identification et nous en tenons la preuve dans le fait qu’une contagion ou imitation de ce genre se produit même dans des cas où il existe entre deux personnes données moins de sympathie encore qu’entre deux amies de pension… » Alors comment raisonnent la grande majorité des jeunes filles qui se découvrent subitement « trans » ? Il peut s’agir d’un raisonnement inconscient : « … si de tels motifs produisent de tels accès, je peux aussi être saisie d’une même crise puisque j’ai les mêmes motifs… » Ce qui fonctionne alors, c’est une identification par le symptôme, facilitée par la multiplication de tous ceux et toutes celles qui partagent l’idée d’être « tombés dans le mauvais corps ». Il s’agit en quelque sorte d’une fascination identificatoire établie sur la base d’une « prétention étiologique identique ». Prétention qui ouvre tout grand les portes d’une appartenance communautaire nouvelle, facilitée par les réseaux sociaux, rendant difficile tout travail d’introspection comme on le constate quand on écoute le membre d’un groupe sectaire politique ou religieux.
Discours désubjectivés
Ces jeunes gens trouvent en effet un abri dans des regroupements qui ont toutes les caractéristiques des sectes : rupture avec l’entourage familial et amical, discours désubjectivés et identiques d’un sujet à un autre, désignation d’un extérieur hostile et apeuré par les « vérités » partagées au sein du groupe, intimidation à l’égard de ceux qui veulent s’éloigner, mensonges ou graves omissions sur les conséquences des actes posés, le tout s’appuyant sur de prétendues études scientifiques dans le style de l’Église de scientologie. Laquelle, comme par hasard, est le fer de lance du discours idéologique légitimant les pratiques de conversion des enfants mâles en enfants femelles (et réciproquement) au nom d’un Idéal qui abolit toute dimension inconsciente dans les demandes d’enfants ou d’adolescents censés être ce qu’ils affirment être, sans que soit entendue la réelle souffrance qui s’exprime sous cette forme de déni de la réalité biologique. Au nom de l’autonomie du sujet, ces enfants sont appelés à s’auto-nommer, ce qui renforce leur sentiment de toute-puissance narcissique.
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Partout, et depuis toujours, le narcissisme de groupe – nous sommes dans le Vrai, nous sommes éthiquement supérieurs – s’affirme par la violence. Par définition, ce narcissisme de groupe exclut toute idée d’altérité. D’où la violence des militants de la cause trans qui, paradoxalement, réclament la reconnaissance de leurs différences tout en interdisant toute interrogation.
Nos sociétés s’insurgent contre les réalités biologiques et contre la Science, qui blessent notre orgueil sans nous apporter les satisfactions que nous croyons pouvoir en exiger. Mais il est vrai aussi que la Science ne pense pas et que son universalité nous fait perdre le sentiment de notre individualité. Laquelle se conquiert avec du temps accordé à la Parole singulière et refoulée, et sûrement pas à coups d’hormones et d’interventions chirurgicales prématurées et irréversibles. Par leurs demandes, nombre de jeunes gens posent une vraie question, différente pour chacun d’entre eux. Y répondre sans tenir compte de leur psychisme en pleine effervescence ne peut que les rendre définitivement malheureux, quoiqu’on en dise sur les réseaux sociaux. Ici, comme partout dans notre monde libéral, l’offre conditionne la demande.
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