– Vermeer a peint le meilleur de son œuvre au xxe siècle
– Les têtes de liste aux européennes préfèrent les costumes bleus
– Les spaghettis poussent sur des arbres
(Et plein d’autres révélations sans supplément de prix.)
Les poissons, c’était mieux avant !
Lundi 1er avril
Le 1er avril 1957, la BBC diffusait, dans le cadre de sa très sérieuse émission « Panorama », un reportage sur « la cueillette des spaghettis en Suisse du Sud. »
On y voyait d’accortes jeunes femmes cueillant délicatement les pâtes sur des « arbres à spaghettis », puis les étalant dans de grandes panières. Et d’apprendre que, cette année, la récolte avait été particulièrement abondante, grâce à un hiver doux et à la « quasi-disparition du charançon du spaghetti. »
Ça paraît gros, comme ça, mais l’essentiel des 8 millions de téléspectateurs a tout gobé, et plusieurs centaines d’entre eux ont appelé la BBC pour en savoir plus sur l’arbre à spaghettis et les moyens de le planter.
Même le directeur général de la chaîne a bien failli s’y laisser prendre. En voyant le reportage chez lui, il l’a d’abord pris au sérieux… avant de vérifier dans l’Encyclopædia Britannica. Or, commente-t-il, « L’Encyclopædia Britannica ne mentionne même pas le spaghetti. »
Ne rions donc pas trop vite de nos amis britanniques ! À l’époque, ils ne connaissaient pour la plupart les spaghettis qu’en boîte et en sauce, comme les flageolets. En outre, le reportage a bénéficié de l’aura de sérieux du présentateur Richard Dimbledy, qui avait assuré entre autres le commentaire télé du couronnement d’Elizabeth II. Après tout, si la reine était reine, pourquoi les spaghettis ne seraient-ils pas arboricoles ?
Européennes : le grand défilé
Jeudi 4 avril
Vu pour vous, crayon à la main, le « Débat européen » à 12 sur France 2.
Mon résumé, pour éclairer votre vote :
Femmes : 2
– Tailleur fuchsia : 1 (Loiseau)
– Tailleur noir : 1 (Aubry)
Hommes : 10
Cravate, chemise blanche : 5, dont
– Bleu roi, costume bleu marine (Bellamy)
– Bleue, costume bleu foncé (Asselineau)
– Violet, costume bleu (Lagarde)
– Rouge, costume bleu roi (Philippot)
– Bordeaux, costume bleu nuit (Dupont-Aignan)
Sans cravate, chemise blanche : 5, dont
– Costume bleu pétrole (Jadot)
– Costume bleu « normal » (Glucksmann)
– Costume bleu-gris (Bardella)
– Costume gris souris (Brossat)
– Costume noir (Hamon)
En espérant vous avoir été utile,
Basile
Accroche-toi au pinceau…
Vendredi 10 avril
Han Van Meegeren, vous connaissez ? Ce Hollandais post-vermeerien est pour le moins tardif, puisque ses premières œuvres inspirées du maître de Delft datent de… 1934.
Après avoir pratiqué l’art moderne, très vite il se sent attiré par le travail sur la couleur, l’ombre et la lumière de ses compatriotes du xviie, le « siècle d’or néerlandais ». Hélas ! La critique met en pièces ses toiles, jugées impersonnelles et démodées, jusqu’à briser sa carrière… La vengeance de Van Meegeren sera terrible !
Il faut dire que les circonstances s’y prêtent. Dans les années 1930, une hypothèse fait florès chez les historiens d’art : Vermeer a forcément connu une période d’inspiration biblique. Primo, on ne connaît de lui que 34 tableaux, pour l’essentiel des scènes d’intérieur intimistes. Deuxio, il était un admirateur déclaré du Caravage et de ses grands formats illustrant les Saintes Écritures. Du coup, le chaînon manquant dans son œuvre, ce sont nécessairement des œuvres à caractère religieux.
Y a qu’à demander ! Ce que les spécialistes veulent voir, Van Meegeren va le leur montrer. Ils n’ont pas voulu de ses propres œuvres, qualifiées d’« imitations » de Vermeer ? Eh bien, il va leur en donner, de l’« authentique » !
Dès lors, la vie de Han devient une sorte de thriller drôle et cynique, digne d’un scénario des frères Coen : l’histoire de la plus géniale arnaque de faux en peinture.
Notre maître faussaire est un sacré bosseur. Six années durant, il va se consacrer aux recherches, ébauches et tâtonnements – notamment sur le temps idéal de cuisson au four de la toile pour obtenir la touche d’époque.
Résultat : son coup d’essai est un coup de maître ! Les Disciples d’Emmaüs (1937), qu’il prétend avoir « découvert » en soulevant une frite, est aussitôt certifié et « cédé » pour une fortune à la Hollande.
Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Van Meegeren va continuer de « découvrir », au fil des années, une bonne dizaine d’autres chefs-d’œuvre inconnus du maître hollandais. Les experts n’y voient que du bleu, les collectionneurs se ruent, et personne ne semble s’étonner de cette soudaine profusion de Vermeer, après deux siècles et demi sans nouvelles.
Déjà vengé d’une critique ingrate, et immensément riche, Van Meegeren pousse le bouchon toujours plus loin… Il ira jusqu’à fourguer à Goering, en 1943, un Christ et la femme adultère de sa composition, pour la modique somme de 1,65 million de florins. Tout cela n’est guère raisonnable… Et si le ministre du Reich, grand amateur d’art et un peu soupe au lait, avait découvert la supercherie ?
À défaut, à la Libération, notre héros encourt la peine de mort pour « vente d’un trésor national à l’ennemi ». Sa stratégie de défense est simple : « Je ne suis pas un traître ; seulement un escroc. »
Le problème, c’est que personne ne veut le croire ! Impossible, statuent les experts, que ce tâcheron ait peint en si peu de temps tous ces Vermeer – qui, d’ailleurs, sont authentiques.
C’est alors que les Américains décident de soumettre Van Meegeren à un test en forme de challenge : réaliser en deux mois, sous le contrôle d’un aréopage de spécialistes, un de ces Vermeer qu’il prétend si bien imiter. (« Je ne copie pas Vermeer, je l’approche… », dira-t-il joliment à son procès.)
Bien entendu, Han relève le défi haut le pinceau, avec un superbe Jésus devant les docteurs de la Loi en forme de pied-de-nez à ses juges… Et ceux-ci ne pourront que s’incliner devant la perfection du pastiche.
Du coup, énième rebondissement : de l’étiquette de collabo, Van Meegeren passe instantanément au statut de héros national, pour avoir si audacieusement berné le maréchal Goering ! Sic transit gloria mundi…
À part ça, pour ce qu’y connais, Van Meegeren n’est pas un faussaire ; plutôt un Vermeer moins cher.
Changement de programme !
Mercredi 17 avril
L’incendie de Notre-Dame a bouleversé la planète et tous mes programmes télé.
Souvent, après décryptage de mon Télérama, j’enregistre des émissions sur Arte, pour briller en société et parfois même juste pour le fun. Ainsi, hier soir, avais-je programmé un documentaire sur l’« alt-right » américaine, qui promettait d’être « accablant », avec armes à feu, croix gammées et chapeau pointus.
Las ! Au visionnage, je m’en suis aperçu assez vite : sous prétexte d’« actualité », mon doc croustillant avait été remplacé par un vieux truc limite chiant sur « les secrets des grandes cathédrales ».
Ce soir, sur la même chaîne, nouvelle déprogrammation – mais on gagnait au change ! En lieu et place du redoutable Peau d’Âne, auquel j’avais plus ou moins réussi à échapper depuis 1970, j’ai eu le plaisir de revoir Le Bossu de Notre-Dame, avec Charles Laughton (1939).
Vous me direz : « T’as qu’à zapper, au lieu de faire une fixette sur Arte… » Ben voyons ! Au risque de tomber sur la comédie musicale de Ségara-Garou ?