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Le RSA est-il une niche sociale?


Combien pour se lever le matin ? photo : kevä

Dénonçant les « dérives de l’assistanat », Laurent Wauquiez a notamment plaidé pour que le cumul des minima sociaux soit plafonné à 75% du Smic au motif que, selon lui, « un couple qui est au RSA, en cumulant les différents systèmes de minima sociaux, peut gagner plus qu’un couple dans lequel il y a une personne qui travaille au Smic ». Cette déclaration tonitruante a valu à monsieur Wauquiez une volée de bois vert d’autant plus cinglante qu’au-delà d’une remise en cause de nos précieux « acquis sociaux », ce ministre de la République a manifestement dit n’importe quoi.

En effet, le mécanisme du RSA a précisément été conçu pour tenir compte des autres aides perçues par les allocataires – ou du moins d’un certain nombre d’entre elles comme les allocations familiales ou l’aide personnalisée au logement (APL). Par exemple, si un couple de chômeurs avec trois enfants peuvent prétendre à 1 167,48 euros de RSA dit « socle » mais touche par ailleurs 286,78 euros d’allocations familiales et 420.93 euros d’APL, leur RSA effectif sera réduit de l’intégralité des allocations familiales et d’un montant forfaitaire de 138.70 euros au titre de l’APL – soit 742 euros qui amènent leurs revenus mensuels à 1449,71 euros. Par ailleurs, si l’un des deux membres du couple trouve un travail payé au Smic, leur aide au logement baissera d’une centaine d’euros et leur RSA passera à 334.26 euros ce qui portera leurs revenus totaux à 2 005,65 euros soit 555.94 euros de moins que dans la situation précédente. À moins donc que monsieur Wauquiez ne fournisse un exemple concret qui illustre son propos, il semble bien qu’un ministre de la République ait proposé de modifier un système auquel il ne comprend absolument rien.

L’ingérable maquis

Qu’un politicien cherche à s’attirer les faveurs de telle ou telle fraction du corps électoral en se proposant de légiférer sur un sujet qu’il ne maîtrise pas n’a rien de nouveau, c’est même d’une affligeante banalité. Ce que révèle la petite mésaventure de celui-ci – qui a dû rétropédaler en accéléré – c’est que s’il y a, dans notre pays, des « dérives de l’assistanat », elles découlent principalement du fait que notre système d’aides sociales est un inextricable maquis – comme notre fiscalité du reste. Cette complexité pose au moins deux problèmes.

L’opacité du système interdit tout débat rationnel sur son fonctionnement : de la même manière que nous sommes – vous et moi – parfaitement incapables de dire combien nous payons réellement d’impôts, nous sommes tout aussi incapables d’évaluer avec précision combien nos concitoyens qui bénéficient de ces systèmes perçoivent effectivement. Soyons honnêtes : en tant que citoyens de ce pays, nous avons totalement perdu la maîtrise de nos finances publiques. Nous ne savons pas qui paye pour quoi et pour qui et en sommes réduits à faire une confiance aveugle à des politiciens professionnels dont l’intérêt bien compris est précisément que nous demeurions le plus ignorants possible. Nos jugements en matière fiscale comme en matière de redistribution ne reposent plus que sur les affirmations péremptoires de ceux qui nous gouvernent ou prétendent le faire et nous choisissons de croire celui qui a le mérite de conforter nos a priori.

Le deuxième principe, valable pour les aides sociales comme pour les prélèvements obligatoires, est que plus un système est complexe, plus il est facile à contourner. De même que la multiplication infinie des niches fiscales, abattements et autres passe-droits permet à ceux qui s’en donnent la peine – et qui y ont le plus intérêt – d’éviter l’impôt, l’opacité de notre système d’aides sociales le rend parfaitement incontrôlable et favorise ceux et celles qui cherchent à en profiter indûment. La multiplicité des systèmes et des administrations à laquelle s’ajoute la nébulosité des conditions d’attribution encouragent la fraude et créent une situation ubuesque où ceux qui ont besoin d’aide ne savent pas à quoi ils ont droit alors que ceux qui trichent maîtrisent parfaitement les rouages de l’usine à gaz.

Nous ne ferons pas l’économie d’une réforme du système

Supposez un instant que monsieur Wauquiez ait eu raison et qu’en effet, il soit possible de mieux gagner sa vie en vivant d’aides sociales qu’en travaillant au Smic. Quel effet croyez-vous que cela puisse avoir ? Pouvez-vous sincèrement croire qu’un de nos concitoyens irait travailler 35 heures par semaine pour le plaisir de réduire son niveau de vie ? Imaginez maintenant qu’il soit possible de toucher exactement les mêmes revenus avec un RSA et quelques autres aides réservées aux chômeurs qu’en travaillant au Smic – même conclusion n’est-ce pas ? Au-delà de la fraude, le problème que pose tout système de minima sociaux est un problème d’incitations : à partir de quel montant de revenus supplémentaires accepteriez-vous d’aller travailler ? Si, comme dans l’exemple proposé plus haut, vous touchiez 1449,71 euros par mois sans travailler, accepteriez-vous de vous lever tous les matins pour gagner 555.94 euros de plus ? Peut-être que oui, peut-être que non…

Le chômage volontaire existe. N’en déplaise aux naïfs, un nombre conséquent de nos concitoyens font le choix rationnel et conscient de refuser des offres d’emplois pour continuer à vivre des aides sociales. On peut débattre de l’ampleur du phénomène mais le nier relève de l’angélisme ou la malhonnêteté intellectuelle. Il ne s’agit pas – comme certains aimeraient le croire – de « stigmatiser les chômeurs », mais tout au contraire d’admettre que les gens ne sont pas des imbéciles et qu’un certain nombre d’entre eux exploitent le système. Refuser d’aller travailler pour rien, ce n’est pas être un fainéant, c’est se comporter de façon parfaitement rationnelle. Nous avons fixé une règle du jeu centrée sur la définition de « droits » ; comment s’étonner que des êtres doués de raison exploitent cette règle dans le sens de leurs intérêts ?

Trop complexe, mal conçu, bricolé mille fois par des générations de politiciens qui, à l’instar de monsieur Wauquiez, n’ont fait qu’empiler des systèmes bancals sur des « mesurettes» contradictoires ; c’est tout notre système d’aides sociales que nous devons remettre à plat aujourd’hui. Ce modèle social que le monde est supposé nous envier ne génère plus qu’injustices, effets pervers, clientélisme et déficits publics. L’heure n’est plus aux ajustements de paramètres mais à une refonte complète. Le véritable « cancer de la société française», c’est le refus obstiné de cette évidence.



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