L’ancien ministre, député et maire, Charles Millon, nous livre les fruits de ses réflexions sur l’Etat qui, selon lui, devrait rester focalisé sur ses premières missions et abandonner certaines prérogatives au profit des collectivités territoriales.
Ancien ministre de la Défense sous Jacques Chirac, entre 1995 et 1997, après avoir longtemps exercé comme maire de Belley et comme député de l’Ain, Charles Million possède un parcours politique riche. Fort de cette expérience d’élu local et national, il nous livre sa vision de l’État français et de la politique française. En particulier, il plaide pour un retour au principe de subsidiarité en France ainsi qu’un renforcement de l’ancrage local des élus.
Causeur. Vous appelez de vos vœux depuis plusieurs années à une réforme profonde de l’État et de la pratique du pouvoir en France. Quelles sont les priorités à remettre en avant ?
Charles Millon. Notre pays a besoin de valoriser les missions premières de l’État : garantir la sécurité de tous, pour permettre à chacun de s’épanouir. Cela implique que l’État ait en charge essentiellement la sécurité intérieure et extérieure et la diplomatie. Lorsque vous étudiez l’histoire, vous constatez que les prérogatives de l’État étaient concentrées autour de ces trois domaines : la diplomatie et les relations avec les autres états ; la défense et la sécurité extérieure ; l’ordre public et la sécurité intérieur.
De quand dateriez-vous donc le début de l’État providence sous la forme que nous connaissons aujourd’hui ?
Les guerres ont toujours permis à l’Etat d’accroître son pouvoir et son rôle. Au XXe siècle, la France et toute l’Europe ont connu deux guerres. Au lendemain de ces deux conflits, l’État a accru ses prérogatives, pour défendre d’abord et reconstruire ensuite le pays, mais sans jamais s’en départir par la suite. Les crises économiques participent aussi à l’augmentation des interventions de l’État. L’exemple le plus connu est la crise de 1929, qui a provoqué l’émergence de l’État-Providence avec l’adoption de l’analyse keynésienne et la relance de la demande par la dépense publique.
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Quelles prérogatives pourraient être dévolues aux collectivités territoriales ?
Certains domaines en crise, en particulier la santé et l’hôpital, pourraient parfaitement être gérés par les collectivités locales et des organismes privés. D’une région à une autre, les besoins diffèrent beaucoup en la matière. Prenons aussi l’exemple de l’école : aux États-Unis, la politique de l’éducation est réservée aux États et non pas au gouvernement fédéral, ce qui permet d’instaurer une liberté éducative très importante, qu’il est particulièrement difficile à promouvoir en France. Dans ces deux domaines, l’éducation et la santé, le poids de l’État central serait allégé considérablement si un gouvernement avait le courage de renoncer à cette obsession jacobine, en reconnaissant l’autonomie des hôpitaux et des établissements scolaires et universitaires. Il faut convaincre les Français qu’il y a d’autres modèles que celui que nous connaissons depuis les années 1950. J’ai cité le modèle américain, mais nous pourrions aussi prendre en exemple les Länder en Allemagne, dont les prérogatives sont également considérables, ou la Suisse, qui respecte de manière scrupuleuse le principe de subsidiarité. N’oublions pas que le rôle de l’État est de faire faire et non pas de faire.
La suppression de la taxe d’habitation par le gouvernement d’Élisabeth Borne paraît plutôt aller dans le sens contraire de ce que vous prônez…
Absolument. Cette réforme, dont les visées sont purement électoralistes, appauvrit considérablement les communes et les empêche de disposer librement de ressources qui seront, une fois de plus, concentrées dans les mains de l’État central. Ne parlons même pas des hausses de la taxe foncière, que de nombreuses communes ont déjà commencé à effectuer pour compenser cette suppression de la taxe d’habitation.
Parlons de la situation politique de notre pays. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron et son ascension fulgurante, l’on tend à admirer les « parvenus » ceux qui se sont passés des carrières politiques traditionnelles pour se faire élire directement. Était-ce si positif en fin de compte ?
L’absence d’ancrage territorial des élus est une grande erreur. Dans ma carrière, comme bon nombre de mes pairs d’ailleurs, j’ai débuté dans ma commune de Belley, dans l’Ain, où j’ai été maire pendant presque vingt-quatre ans, avant de devenir député, en 1978. C’est dans mon mandat local que j’ai appris à comprendre ce qu’un Français vit au quotidien et quelles sont ses préoccupations. Le risque avec cette nouvelle sorte d’élus, qui n’ont pas d’expérience politique au niveau local, est de tomber facilement dans une approche technocratique du pouvoir, où les solutions sont détachées des réalités concrètes. C’est d’ailleurs ce qu’ont ressenti les Gilets jaunes en 2019 dans les réformes menées par Emmanuel Macron, avec l’augmentation de la taxe sur les carburants notamment. Ils avaient le sentiment que le gouvernement ne comprenait pas leur situation.
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Nous observons depuis une dizaine d’années un éclatement des partis politiques traditionnels et la montée de tendances plus radicales, aussi bien à gauche qu’à droite, qui ne parviennent pas pour autant à fédérer largement. À qui la faute ?
Il est toujours difficile de mettre le doigt sur une cause unique pour expliquer la situation politique actuelle. Pour autant, une réforme de notre système électoral pourrait faciliter la revitalisation de nos structures politiques et les rendre capables de fédérer le plus grand nombre de tendances idéologiques. En établissant par exemple, pour les élections législatives, un mode de scrutin uninominal à un tour, comme en Grande Bretagne, les partis seraient obligés de se regrouper pour gagner l’élection. Cela permettrait qu’une majorité se dégage. De plus, ces partis auraient la responsabilité de traiter en leur sein la question des extrêmes et ainsi le pouvoir en place ne pourrait plus se servir de ces extrêmes comme épouvantail pour se maintenir artificiellement au pouvoir.
La proportionnelle ne m’apparaît certainement pas la solution, parce qu’elle provoque au contraire des divisions accrues. C’est d’ailleurs celles-ci qui ont fait chuter la IVe République.
Vous prônez un engagement renouvelé des jeunes en politique aujourd’hui. Quel message leur adressez-vous plus précisément ?
L’engagement politique est essentiel car c’est à travers lui que l’on participe à la vie de la cité, à la définition des équipements nécessaires à la vie commune, à la création des conditions favorables à l’épanouissement de chacun. Ne confondons pas engagement politique et engagement partisan.
L’engagement politique est plus large ; il inclut la vie associative, l’animation culturelle, le système éducatif, la politique sanitaire… Par l’engagement politique, le citoyen participe à la définition du cadre dans lequel les individus pourront prendre des initiatives au service de la collectivité. C’est pourquoi je souhaite que nombreux soient les jeunes qui s’investissent au service des autres.
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