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«Le roi de Paris», c’était lui!

"Le roi de Paris" de Dominique Maillet / DVD Doriane films


«Le roi de Paris», c’était lui!
Philippe Noiret dans "Le roi de Paris" (1995) de Dominique Maillet © SIPA Numéro de reportage: 00375336_000001

Philippe Noiret donne une leçon d’acteur dans ce film oublié de 1995 qui renaît en DVD


Qu’aurait-il dit après la cérémonie des César ? Rien probablement. Le silence s’impose face à une telle débâcle culturelle. Il y eut dans cet happening raté, calamiteux sur le fond et la forme, une forme d’indignité pour le métier d’acteur et pour le respect du spectateur. Quelque chose qui s’apparente à une trahison du jeu et de la scène. Une violation de notre imaginaire. Un piétinement de nos valeurs. En se défoulant et donc en nous insultant, ces acteurs ont oublié, pour un soir, la distance nécessaire à toute création artistique. Ils ont confondu la revendication brouillonne et l’incarnation sincère d’un juste combat. Ils ont manqué d’intelligence, de cohérence, de clairvoyance, d’humour et de nerfs.

Contre les vieilles combines de la nudité débraillée

Un acteur, un grand, ça ne s’oublie pas, ça ne se déverse pas, ça se tient debout, ça nous extrait de notre médiocrité ambiante par le talent et le feu intérieur, par la geste et la parole, par l’humanité à fleur de peau ou la férocité de la dérision, par le rire carnassier et l’onde nostalgique. La vulgarité onirique et dévastatrice n’est pas à la portée de n’importe quel comédien encarté. Tout le monde n’a pas la démesure d’un Marco Ferreri. La souillure est un don de dieu.

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Et le militantisme, un art explosif, à manier avec prudence et discernement. En voyant cette déroute en marche, j’ai pensé à ces mots de Jean-Claude Pirotte dans Un voyage en automne: « Puisque déjà tout est détruit, que reste-t-il à détruire ? Va-t-on pouvoir mettre un terme à la course des nuages, réduire le vent à sa seule plainte, couvrir de cendres le soleil ? Hypnose de la laideur et de la vulgarité ». Ces gens-là qu’on appelle à tort de spectacle ont réussi à repousser les limites de l’indécence et alimenter la colère du public, déjà bien malmené par les dérèglements sanitaires de l’année écoulée. Pétard mouillé de l’agit-prop, vieille combine de la nudité déballée, négation du verbe brillant et du mouvement chorégraphié.

L'Olympia, 12 mars 2021 © Bertrand Guay/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22548132_000001
L’Olympia, 12 mars 2021 © Bertrand Guay/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22548132_000001

Seule l’élégance est révolutionnaire

De toute cette gesticulation insane, ils ont nié Guitry et Oury, Audiard et Godard, Lautner et Rohmer. Ils ont balayé un siècle de cinéma plus par bêtise que par calcul, ce qui est pire. Ce soir-là, leurs mots étaient vains et leurs corps absents. Comment leur dire qu’en plus de rater leur cible par des pitreries de mauvais goût, ils ont fait preuve d’un narcissisme mortifère? Ils n’ont été ni généreux, ni altruistes, simplement insignifiants, de cette banalité qui salit et blesse. Nous les anonymes, les obscurs des salles sombres, qui n’avons pas le don de nous exprimer en public, déléguons aux acteurs le droit de sublimer nos existences. Ils sont nos passeurs. Ils endossent nos peines et nos joies, nous tendent le reflet de notre âme. Ils ne singent pas le réel, ils le recréent par le travail et le don naturel.

Aujourd’hui, contrairement à ce qu’imaginent tous ces profanateurs assermentés, c’est l’élégance qui est révolutionnaire, le maintien qui est disruptif, laissons le dévoiement aux simples d’esprit. Et si une paire de souliers patinés était le signe d’une résistance aux ordres les mieux établis ? Pour sortir de cette nasse, oublier le jeu faisandé et les coups de com’ qui font pschitt, les amoureux du cinéma ont besoin d’un repère dans cette longue nuit. De ces balises qui éclairent les égarés.

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Retour à Noiret

À la lumière du désastre des César, Philippe Noiret apparaît comme un commandeur, très loin des déballages intimes et des tracas quotidiens. Son jeu nous élève et nous désarme, jamais le même et cependant toujours empreint d’une vérité éclatante qu’il interprète un benêt ou un chevalier, un naïf ou un cynique, un mari meurtri ou un régent libertin.

Retrouverons-nous, un jour encore, des comédiens capables de tout jouer, en légèreté, sans forcer le trait, sans tricher, sans se regarder le nombril, sans pratiquer la claque et quémander un peu d’amour ? La sortie en DVD/Blu-Ray du film méconnu de Dominique Maillet, « Le roi de Paris » est une belle manière de communier avec Philippe Noiret. De s’inscrire à nouveau dans un échange rare, personnel avec lui, de retrouver sa palette de variations infinies, de la mauvaise foi à la tendresse blessée, de la fanfaronnade à l’effondrement, de la voix qui porte haut et puis qui se fissure soudain pour nous anéantir totalement.

Alors oui, revoir Noiret dans la peau de Victor Derval maître fictif du théâtre au début des années 1930, gloire du boulevard, torve et grandiloquent, est une expérience que je recommande à tous les humiliés des César. C’était donc ça un acteur en pleine possession de son art, dont l’intonation, les regards, les déplacements, les raideurs et les relâchements formaient un tout au service d’un scénario et d’une histoire. La renaissance de ce « roi de Paris » est donc absolument à voir pour le numéro de Noiret et aussi pour un casting merveilleux avec notamment Manuel Blanc, Michel Aumont, Paulette Dubost, Jacques Roman, Corinne Cléry ou Ronny Coutteure. Et puis l’éclat et l’intensité de Veronika Varga viennent cueillir le spectateur dans les entrelacs de sa mémoire.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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